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leurs maîtres et à leur nationalité. Il n’y avait que l’aristocratie qui fût en état de fournir des chefs militaires au mouvement. Livrée à ses propres forces, ainsi divisées, contre la puissante discipline russe, la Pologne devait succomber.

Louis Blanc reconnaît que la France ne pouvait intervenir directement en faveur de la Pologne, et M. Thureau-Dangin tire argument de cet aveu pour innocenter Louis-Philippe de son inertie et justifier la cruelle et égoïste politique qui profita de l’insurrection par laquelle fut empêchée une action des puissances du Nord contre nous. L’écrivain orléaniste avoue de son côté que la révolution polonaise a empêché cette action, lorsqu’il écrit que « M. de Metternich gémissait de son côté sur ce que « la déplorable révolution polonaise avait empêché que l’entente, si nécessaire entre les trois cours, eût pu s’établir dans un sens vraiment utile. » Le passage guillemetté est extrait des Mémoires de Metternich.

Cette entente des trois cours et son but étaient si peu un mystère que Victor Hugo écrivait, au moment même où se préparait l’insurrection polonaise : « Au printemps il y aura une fonte de Russes. « Comment donc M. Thureau-Dangin peut-il sembler croire que l’agression méditée aurait eu pour cause non la révolution de juillet elle-même, mais l’attitude que prendrait le gouvernement issu de cette révolution ? Comment peut-il, parlant des déclarations de Laffitte sur la non-intervention que nous avons mentionnées plus haut, dire que ces « déclarations insuffisamment limitées… pouvaient inquiéter les puissances ? » N’avoue-t-il pas lui-même que Louis-Philippe faisait atténuer les discours de son ministre par des notes que sa diplomatie transmettait aux cours du Nord et où étaient affirmée ses sympathies conservatrices autant que ses sentiments pacifiques à outrance ? Il n’ignore pas, puisqu’il la mentionne, la dépêche de Metternich de novembre 1830 relative à la non-intervention et qui est suffisamment expressive : « Péril pour péril, dit le ministre autrichien, nous préférons la guerre à la révolution. »

La Russie empêtrée en Pologne, l’Autriche aux prises avec l’Italie, l’Angleterre forcément retirée de la Sainte-Alliance, la France n’avait plus devant elle que la Prusse, qui n’eût certainement pas remué un doigt si les libéraux et les républicains français avaient consenti à cesser de revendiquer la rive gauche du Rhin et d’alarmer ainsi en l’unifiant le patriotisme allemand suscité par le mouvement de 1813. C’était là notre point faible. Cette revendication obstinée de provinces allemandes de race, de mœurs, de langue et de sentiments, était aussi folle qu’injuste, attentatoire au principe des nationalités basé, depuis la proclamation des droits de l’homme, sur la volonté des peuples et non sur les limites territoriales de tel ou tel grand moment historique.

M. Thureau-Dangin connaît ce point faible et il joue de tous ses avantages en énumérant complaisamment les articles d’Armand Carrel dans le National et les exaltations du chauvinisme de Louis Blanc dans son Histoire de Dix ans. Certes, celui-ci se fait une étrange illusion lorsque, dix ans après, faisant écho aux sentiments de cette époque, il avance que « les provinces rhénanes qui, sans parler