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non des trois glorieuses, lui permit de parler assez haut pour empêcher les puissances du Nord de rétablir par la force le gouvernement des Pays-Bas à Bruxelles, de même qu’il devait plus tard lui permettre d’empêcher l’annexion de la Belgique à la France, car la possession d’Anvers par celle-ci, disait pittoresquement un de ses hommes d’État, eût été un pistolet chargé au cœur de l’Angleterre.

— Pourquoi ne faites-vous pas pour nous ce que vous avez fait pour la Grèce ? demandait à Palmerston un envoyé du gouvernement insurrectionnel de Pologne.

— Avec vous, répondit le ministre libéral, c’est autre chose ; la Grèce a lutté pendant cinq ans… notre commerce souffrait beaucoup des corsaires.

La révolution belge porta une atteinte plus sérieuse aux principes et aux faits établis quinze ans auparavant par la Sainte-Alliance. Cette révolution était inévitable. L’œuvre artificielle des vainqueurs de 1815 n’était pas viable. La Belgique, plus industrieuse et plus peuplée que la Hollande, ne pouvait supporter longtemps un statut politique qui la faisait contribuer à toutes les charges et limitait au minimum ses avantages dans l’association. Aux États-Généraux, les Hollandais avaient la majorité, les députés d’Anvers et de Gand étant avec eux. Les Belges avaient supporté cette situation tant qu’ils avaient été désunis.

Et ils avaient été désunis tant que les catholiques avaient eu la direction du mouvement de résistance aux empiétements des Hollandais et réduit le conflit aux proportions d’une lutte confessionnelle. Bien pis, par leur intransigeance cléricale, ils faisaient des Hollandais les champions des idées de tolérance et de liberté relative et donnaient à la revendication nationale belge une allure rétrograde et absolutiste qui paralysait les efforts des meilleurs patriotes.

Le premier incident de la lutte pour la nationalité s’était, en effet, tout d’abord produit sur le terrain le plus défavorable. La constitution octroyée en 1815 par le roi des Pays-Bas posait le principe de la liberté de la presse et des religions. À l’instigation de l’archevêque de Malines, les évêques de Belgique prétendirent interdire aux catholiques de jurer fidélité à une constitution dont les articles étaient « opposés à l’esprit et aux maximes de la religion catholique ». Dans le Jugement doctrinal, on mettait les catholiques en demeure de refuser les emplois publics ou de se révolter. « L’Église catholique, y était-il dit, qui a toujours repoussé de son sein l’erreur et l’hérésie, ne pourrait regarder comme ses vrais enfants ceux qui oseraient jurer de maintenir ce qu’elle n’a jamais cessé de condamner. » Donc, « jurer de maintenir l’observation d’une loi qui rend tous les sujets du roi, de quelque croyance religieuse qu’ils soient, habiles à posséder toutes les dignités et emplois, ce serait justifier d’avance les mesures prises pour confier les intérêts de notre sainte religion dans les provinces catholiques à des fonctionnaires protestants. »

Le pape blâma ces excès de zèle qui tendaient à susciter une aléatoire révolution des Belges catholiques contre les Hollandais protestants et à détruire l’œuvre des puissances conservatrices. D’accord avec Rome, le gouvernement hollandais fit condamner à la déportation l’archevêque de Malines, qui avait d’ailleurs pru-