Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

monien. » Saint-Simon fut-il lâche pour avoir traversé « la crise terrible de la Révolution française avec ce calme divin qui eût été lâcheté, crime, pour tout autre que lui ? » Non. Les saint-simoniens, en présence des événements qui se déroulent, doivent être calmes, mais non pas inactifs. La période de la propagande n’a pas encore fait place à celle de l’organisation.

Pourtant, des saint-simoniens désobéirent. Si incomplète que fût la révolution qui s’opérait, ils estimaient qu’elle les rapprochait davantage de leur idéal que le règne de la Congrégation, Hippolyte Carnot, Jean Reynaud, Talabot, notamment, firent le coup de feu sur les barricades. Quant à ce dernier, il ne dut point, d’ailleurs, faire grand mal aux soldats de Charles X, car, nous apprend Laurent, il avait chargé son fusil la cartouche renversée, « de telle sorte qu’il ne put pas même la décharger en l’air en revenant ».

Dominés par le caractère religieux qu’Enfantin avait donné à leur doctrine, les saint-simoniens avaient bien renoncé à se battre, mais non à agir dans le sens de la révolution. Dans la soirée même du 29 juillet, le dernier coup de fusil à peine tiré, des réunions populaires se forment, notamment au restaurant Lointier, rue de Richelieu. Dans la réunion Lointier, Carnot et Laurent se joignent à leurs anciens amis les républicains, entre autres Buchez et Rouen, et protestent vivement contre la propagande qu’y font les amis du duc d’Orléans.

Puis avec Charles Teste et Félix Lepelletier Saint-Fargeau et deux saint-simoniens revêtus de leur uniforme de l’École polytechnique, ils s’en vont joindre sur la place de la Bourse un corps de volontaires de la Charte, composé d’environ quinze cents hommes et commandé par un polytechnicien, afin de les décider à se prononcer contre les menées des orléanistes. Ils rédigèrent à la hâte, sur le comptoir du magasin de librairie de Ch. Teste, une très brève proclamation qui commençait et finissait par ces mots : Plus de bourbons ! Lue aux volontaires, cette proclamation fut acclamée. Le bruit en vint à la réunion Lointier qui décida de stipuler, dans l’adresse envoyée à Lafayette et aux hommes de l’Hôtel de Ville, que toute candidature bourbonienne serait écartée.

Mais cela, de même que la démarche de Bazard auprès de Lafayette dont nous aurons à parler tout à l’heure, c’est de l’action officieuse. Les saint-simoniens se doivent de commenter l’événement qui a donné la victoire au peuple. Dès le 30 juillet, Bazard et Enfantin, dans une proclamation aux Français affichée sur les murs de Paris, glorifient l’insurrection victorieuse. Cela est pénible de les entendre crier aux Parisiens : « Gloire à vous ! » lorsqu’on sait que l’avant-veille ils ont blâmé ceux des disciples qui voulaient aller faire le coup de fusil aux côtés du peuple.

Le lecteur ne s’est pas mépris : Bazard et Enfantin n’étaient pas des lâches. Mais, comme tous les sectaires, qui veulent enfermer le monde et son mouvement dans la conception particulière qui les domine eux-mêmes, ils refusent de participer à une révolution qui n’est pas la leur, de combattre avec des hommes qui cherchent encore ce que, disciples de Saint-Simon, ils prétendent avoir trouvé. Pour