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Soyons équitables : Le ministère n’avait pas seulement proposé d’abaisser le cens et de donner aux départements pauvres un nombre d’électeurs égal à celui des départements riches. Il n’avait pas fait uniquement de la richesse l’unique condition du pouvoir, et il proposait d’adjoindre les capacités. Dans son projet, les médecins, les professeurs, les juges, les avocats, notaires et avoués, les membres des corps savants devaient faire partie du corps électoral. La Chambre n’y admit que les officiers pourvus d’une pension de retraite d’au moins 1.200 francs et les membres et correspondants de l’Institut qui paieraient cent francs d’impôts directs. Cette concession dédaigneuse, faite par l’argent au savoir mis à la portion congrue du pouvoir, achève le caractère de classe du régime.

Le soulèvement de la Pologne, survenu en novembre, agitait à ce moment l’opinion libérale, et les partis d’opposition, des républicains aux royalistes, tentaient de pousser le nouveau gouvernement à intervenir en faveur d’un peuple qui réclamait sa nationalité. En agissant ainsi, les républicains étaient dans leur tradition. Ils étaient en effet solidaires de tous les peuples opprimés par le despotisme intérieur ou étranger, pour les radicaux suisses contre les conservateurs, pour les Irlandais contre les Anglais, pour les Belges contre les Hollandais, pour les Italiens contre les Autrichiens, les Bourbons de Naples et le pape, pour les Polonais contre la Russie et l’Autriche.

Les royalistes faisaient un choix dans ces revendications, auxquelles ils eussent été indifférents si le ferment du libéralisme catholique qui les travaillait au dedans et les concurrençait au dehors ne les eût secoués dans leur inertie organique et leur conservatisme systématique. Ils furent donc pour la catholique Pologne contre la schismatique Russie, pour la catholique Belgique et la plus catholique Irlande contre les hérétiques de Hollande et d’Angleterre. La solidarité religieuse et non le sentiment de la nationalité, encore moins celui de la liberté, les émut seule. Mais ils firent nombre et grossirent l’agitation qui créait des embarras au gouvernement de l’usurpateur, la dislocation du pouvoir par tous les moyens étant l’unique ressource et l’unique espérance des partis qui ne comptent point sur l’adhésion des masses pour le reconquérir.

En face de cette agitation qui, des journaux, notamment le National et la Gazette de France, descendait souvent dans la rue et retentissait dans la Chambre, le ministère était fort embarrassé. À propos de l’essai d’insurrection de Modène, il avait proclamé à la tribune le principe de la non-intervention dans les affaires des peuples et des gouvernements ; mais il avait tenté de sauver la face en déclarant qu’il ne souffrirait pas une atteinte contre ce principe de la part des gouvernements sans se considérer comme affranchi de toute obligation. C’était dire que non seulement la France était libérée de la Sainte-Alliance, mais encore qu’elle ne la laisserait pas se renouer. Naturellement, cela fut indiqué plutôt que formulé, et bien plus dans le dessein de calmer l’opinion en la rassurant que de menacer la Russie, l’Autriche et la Prusse, qui savaient parfaitement à quoi s’en tenir.

Le lendemain du jour, en effet, où Laffitte, pour contenir l’effervescence pu-