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peuvent-elles avoir pris naissance dans un état social de ce genre ? Ne furent-elles pas créées principalement pour faire régner l’ordre parmi les esclaves ? »

La loi municipale qui fut faite dans le même temps ne marqua pas non plus un progrès sensible dans la voie libérale et n’eut pour effet que de compléter le système de la domination de la classe censitaire. Les conseils municipaux élus par les plus imposés d’entre les contribuables ; les fonctionnaires, les officiers ministériels, les avocats et les médecins inscrits sur la liste électorale ; les maires des petites communes nommés par les préfets, et ceux des grandes par le roi, tel est le bilan de cette loi où l’esprit censitaire se mêla à l’esprit napoléonien pour étouffer tout essai de vie municipale.

Le grand débat de cette session fut la loi électorale. Cette loi fut à la mesure des précédentes. « Nos chambres décrépites, dit Victor Hugo, procréent à cette heure une infinité de petites lois culs-de-jatte, qui, à peine nées, branlent la tête comme de vieilles femmes, et n’ont plus de dents pour mordre les abus. » C’est profondément exact, et Victor Hugo avait raison de crier aux législateurs : « Vous avez la vieillesse, mais vous n’avez pas la maturité. » Mais tandis que des catholiques, tels que Lamennais, lancé, il est vrai, de plus en plus dans la voie de l’hérésie et de la démocratie, et de Genoude, directeur de la Gazette de France, s’unissaient aux républicains et à l’extrême gauche du mouvement libéral pour demander l’établissement du suffrage universel, nous entendons Victor Hugo, sous l’impression, il faut le dire, de l’émeute causée par le procès des ministres, s’écrier que « les droits politiques doivent sommeiller dans l’individu jusqu’à ce que l’individu sache clairement ce que c’est que des droits politiques ».

C’est bien d’ailleurs sur le sommeil des foules que comptait le directeur de la Gazette de France pour obtenir leur consentement passif au retour de la monarchie légitime. N’avons-nous pas vu récemment les cléricaux belges proposer le suffrage des femmes, non parce qu’il est juste de ne pas tenir la moitié de l’humanité en dehors du droit politique, mais parce qu’ils espéraient renforcer leur domination par l’appoint de voix acquises au clergé ? Il n’empêche que Victor Hugo eût été bien inspiré en s’en tenant là et en n’enfermant pas ironiquement le peuple dans le cercle vicieux de cette formule : « Très bonne loi électorale (quand le peuple saura lire) : Art. 1er, Tout français est électeur ; art. 2, tout Français est éligible. » C’était trop compter sur l’honnêteté du « tuteur » bourgeois préparant « l’émancipation de son pupille ».

La loi proposée par le ministère abaissait de 1.000 à 500 francs le cens de l’éligibilité et doublait le nombre des électeurs également répartis entre tous les départements sur une liste formée par les plus imposés. La commission de la Chambre releva le cens des éligibles à 750 francs et fixait à 240 francs le cens électoral, ce qui était encore plus dérisoire. Sur l’éligibilité elle faisait une légère concession, et sur l’électorat une concession moindre encore, puisque le cens électoral sous la Restauration était de 300 francs. Finalement le cens des éligibles fut fixé par la Chambre à 500 francs et celui des électeurs à 200 francs.