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C’était le temps où il disait à quelques jeunes républicains » que la couronne d’or était trop froide en hiver et trop chaude en été, un sceptre trop lourd pour s’en servir comme arme, trop court pour un appui, et qu’un chapeau rond en feutre et un bon parapluie étaient beaucoup plus utiles en ce temps ». Il ne s’était décidé, on le sait, à quitter sa demeure en apparence bourgeoise du Palais-Royal, que sur l’observation qui lui fut faite qu’on ne le croirait point roi tant qu’il n’habiterait pas les Tuileries. Il mit alors une hâte véritablement puérile à déménager.

Roi constitutionnel, il exerça en réalité un pouvoir personnel bien plus actif et plus réel que son prédécesseur, étant plus intelligent et surtout plus habile. Avec Dupont (de l’Eure), dont les sentiments s’exagéraient de brusquerie, il dut avaler bien des couleuvres. D’autre part, Laffitte l’avait fait roi, et ne l’oubliait pas ni ne le lui laissait oublier, très fier d’être auprès du peuple le répondant du roi et auprès de celui-ci le délégué de la révolution bourgeoise.

La retraite voulue des doctrinaires du cabinet au moment des émeutes causées par le procès des ministres avait décidé Dupont (de l’Eure) à laisser à Laffitte seul les responsabilités et les soucis du pouvoir. Il consentit cependant à faire partie du ministère. La Chambre ne paraissait pas disposée à faciliter la tâche de Laffitte, au contraire.

Elle seconda de son mieux les doctrinaires, dont le plan était de laisser le cabinet aux prises avec les derniers soubresauts de la révolution, afin que les hommes du mouvement perdissent dans l’exercice du pouvoir et les mesures d’ordre nécessaires le crédit qu’ils avaient encore auprès du public. De l’aveu même de M. Thureau-Dangin, Louis-Philippe servit cette manœuvre habile s’il ne l’inspira pas, en prodiguant les marques de confiance et d’amitié aux hommes du mouvement et en manifestant une réserve proche de la froideur aux hommes de la résistance.

Les émeutes du procès des ministres fournirent aux meneurs de la résistance une excellente occasion de libérer le roi du patronage dangereux de Lafayette. La boutique était lasse des agitations de la rue, et on avait su manier à propos l’épouvantail républicain, en lui montrant l’artillerie de la garde nationale aux mains des rouges. Elle laisserait donc, si on savait s’y prendre, sacrifier sans trop rechigner, l’idole de la veille. Le 23 décembre, après avoir voté des félicitations à la garde nationale sur la proposition de Dupin aîné, la Chambre supprimait la fonction de commandant général des gardes nationales du royaume.

Les auteurs de la proposition avaient bien manœuvré ; ils ne semblaient pas faire une loi de circonstance, puisque cette proposition s’était produite au cours de la discussion de la loi réorganisant la garde nationale et qu’elle ne devait recevoir son effet que lorsque cette loi organique serait votée par les deux Chambres et promulguée. De plus, ils avaient comblé Lafayette d’éloges hyperboliques et exprimé le vœu qu’il conservât ses fonctions jusqu’à ce que la loi fut promulguée. Nul argument valable ne pouvait d’ailleurs leur être opposé. Quel pouvoir eût pu, en effet, se maintenir dans la sécurité du lendemain en face d’une semblable autorité, à la fois civique et militaire.