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Thiers a rédigé cette affiche avec la collaboration de Mignet. Il annonce au peuple l’acceptation du duc d’Orléans « sans avoir consulté le prince qu’il n’a jamais vu », avoue M. Thureau-Dangin dans son Histoire de la Monarchie de Juillet. L’historien orléaniste n’insiste d’ailleurs pas autrement sur cette « audacieuse initiative », dont le succès effacera les périls et recouvrira l’immoralité. Il s’agit à présent de décider le duc, et sans retard. L’Hôtel de Ville est plein de républicains qui entourent Lafayette et le pressent de proclamer la République. Le peuple est tout prêt à se donner aux premiers qui se déclareront.

La Tribune, dont le directeur, Auguste Fabre, est républicain, pousse tant qu’elle peut à la solution républicaine. Dans son numéro du 29 juillet, elle dit bien qu’ « on entend encore dans Paris le cri de vive la Charte », mais elle ajoute aussitôt que « les braves citoyens qui poussent ce cri n’y attachent pas une signification bien nette, puisqu’il est suivi sur leurs lèvres du cri : Plus de roi ! Vive la liberté !… » Et suggérant la chose sans se risquer à lâcher le mot, la Tribune ranime les vieux souvenirs en ressuscitant le vocabulaire de la Révolution. « C’est, dit-elle, le cri de vive la liberté ! vive la nation ! qui doit se trouver dans toutes les bouches, comme sur toutes les poitrines les couleurs du 14 juillet, de Fleurus, d’Arcole et d’Héliopolis. »

La révolution avait deux centres : l’hôtel Laffitte et l’Hôtel de Ville. Les républicains avaient conduit le peuple au combat, et le peuple était encore sous les armes. Ils occupaient l’Hôtel de Ville, mais l’indécision de Lafayette y régnait, nulle résolution n’était possible qui n’eût pas eu l’assentiment du populaire héros des deux mondes.

En outre des communistes, héritiers de la tradition de Babeuf, membres des sociétés secrètes, et qui se trouvaient naturellement au premier rang des combattants, il y avait une école socialiste, celle des disciples de Saint-Simon. Quelle fut l’attitude de ceux-ci pendant les trois journées et, ensuite, dans le moment de trouble et d’incertitude où chaque parti tentait de dégager la solution de son choix ? Écoutons-les parler eux-mêmes. Écoutons Laurent (de l’Ardèche) dans la notice sur Enfantin qu’il a placée en tête des œuvres de Saint-Simon :

« Les apôtres du progrès pacifique avaient une rude épreuve à traverser, dit-il. L’ancien régime engageait un combat à mort avec la Révolution. Les disciples de Saint-Simon ne devaient pas se laisser entraîner dans cette lutte sanglante, bien qu’ils eussent la conviction d’être les adversaires les plus résolus et les plus redoutables du passé féodal et clérical qui s’était fait provocateur. Ils n’oublièrent pas, en effet, que leur mission n’était pas de détruire, mais d’édifier. Bazard, l’ancien membre de la vente suprême du carbonarisme, s’entendit à merveille avec Enfantin, l’ancien combattant de Vincennes, pour inviter les saint-simoniens à se tenir à l’écart de cette querelle fratricide. »

Dans la circulaire, adressée le 28 juillet « aux Saint-Simoniens éloignés de Paris », les chefs de la doctrine s’écrient : « Enfants, écoutez vos pères, ils ont su ce que devait être le courage d’un libéral, ils savent aussi quel est celui d’un saint-si-