terre. Les équipages des navires anglais qui l’ont transporté à l’île d’Elbe et puis en Angleterre, et enfin à Sainte-Hélène lui étaient dévoués au point que, dans le trajet de l’Atlantique, l’amiral Colkburn redoutait une sédition !
L’Angleterre avait eu — ou du moins son gouvernement — le projet de le rendre à Louis XVIII comme un sujet rebelle que le roi eût fait fusiller. Malgré tout, elle recula devant cette ignominie. Et même elle s’attacha la complicité de l’Europe entière, y compris celle de la France, par le choix de l’île, par la nomination de commissaires de surveillance dont le plus dur fut le commissaire français, M. de Montchenu, ancien officier de Brienne avec Bonaparte.
L’Europe ne se sentait en sécurité que par l’éloignement du monstrueux génie qui l’avait ébranlée si souvent et elle confiait aux profondeurs de l’Atlantique l’homme qui trouvait pour lui l’Occident trop étroit et qui, maintenant, devait se contenter d’un rocher perdu. On peut trouver que le repos de l’Europe valait cette réclusion : on peut trouver que les vingt milliards (soixante de notre monnaie) que Bonaparte avait coûtés à l’Angleterre valaient qu’elle se gardât, qu’elle gardât l’Europe. Mais était-il nécessaire à l’histoire du peuple anglais qu’il vengeât sur un prisonnier les terreurs de la défaite ? Or jamais persécution ne fut plus basse en sa minutie préméditée. L’amiral Colkburn refuse à Napoléon — par ordre du gouvernement — le titre d’empereur : on le traite comme un général anglais en disponibilité. Blessure d’amour-propre inutile ! À Colkburn, en 1816, succède Sir Hudson Lowe, geôlier déséquilibré, dont le haïssable profil, dès la première rencontre, fut intolérable au captif. Pendant quatre années, ce gardien fit de chaque heure du jour une amertume : surveillance étroite, suspicion aiguë, précautions outrageantes, insinuations fielleuses, partout des yeux ouverts où se lisait une joie insolente, brillant la nuit comme des regards de hyène, rien ne manqua au régime moral du prisonnier, dont le régime matériel se fit de privations honteuses et d’avaricieuses économies. Si l’on veut, par une simple anecdote, se faire une idée de la situation de Napoléon, voici qui vaut mieux qu’un tableau. Un jour, Montholon fit don à Montchenu, le commissaire français, de haricots blancs et verts. Simple présent, et bien innocent ! Hudson Lowe découvrit le germe d’un complot, transmit fièrement à son gouvernement cette trouvaille : que ces pauvres légumes étaient un symbole, les haricots blancs désignant le drapeau blanc et les haricots verts l’empereur, dont le costume avait cette couleur !!! Hudson Lowe, même pour l’Angleterre, s’est déshonoré à cette besogne et il est mort disgracié, sans pension, victime du gouvernement royal qui, l’ayant employé, le répudia avec une trop tardive pudeur.
Sous cette folie délirante, Napoléon expira pendant quatre années, peu à peu, livré à toutes les misères domestiques, arbitre des querelles puériles qu’une étiquette ridicule soulevait dans son entourage, n’ayant de loisir qu’à