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dans la terreur le mortel outrage dont son front à lui avait rougi au jour de l’abdication.

Quant à continuer la campagne après la défaite, cela tenait du délire et aucun homme sensé n’a été le complice de Napoléon, arrangeant un peu, dans l’exil, le récit de ses révoltes ou de ses velléités. Après la défaite dont le poids écrasait sa stature, Napoléon vint à Laon. On discuta la question de savoir s’il attendrait là l’armée, ou s’il rentrerait à Paris. Napoléon était d’avance gagné à ce second projet. Il se rappelait que son absence lui avait été, en 1814, fatale et que les intrigues l’avaient exilé à Fontainebleau. Il partit et le 20 juin, à 11 heures du soir, descendait à l’Élysée…

Ce n’était plus le même homme qui l’avait quitté, redoutable encore, le 12 juin. Quelle semaine effroyable ! Vaincu, malade, les nuits sans sommeil, les jours sans repos, toutes les responsabilités de la défaite, tant de clameur, tant de sang, la joie qu’il devinait chez les souverains, tout cela l’avait anéanti. Il ne devait pas retrouver, avant trois jours sa hardiesse ordinaire. La Chambre s’était réunie de plein droit sous la présidence de Lanjuinais ; elle se déclare en permanence. Que faire ? La question se posait pour elle et pour lui. Dans la vacance du pouvoir, nul n’osait prononcer le premier la parole décisive quand, surgi de son long et lointain exil, parut Lucien. Il complétait bien son frère Louis, car il avait, dans les catastrophes civiques où fléchissait la volonté fraternelle, l’audace et la décision que l’empereur retrouvait aux armées. Il conseillait la résistance, mais il la conseillait à un homme épuisé dont l’attention même ne se pouvait fixer. À la Chambre, après avoir sommé les ministres de parler, on s’enhardit. Quelques députés parlèrent d’abdication. Lucien, nommé pour la circonstance commissaire du gouvernement, arrive, monte à la tribune, spectre du dix-huit brumaire, parle d’abord devant la stupeur de l’assemblée qui attend les grenadiers, offre, de la part de l’empereur, la continuation de la guerre et pour la direction un accord avec l’assemblée. De violentes protestations accueillent le mandataire qu’on croyait l’agent d’un coup d’État nouveau et d’ailleurs impossible. La Fayette réplique par une foudroyante apostrophe et Lucien se retire.

« Il faut abdiquer ou dissoudre ». Tel est le mot de Lucien à Napoléon. Celui-ci se débat, attend. L’assemblée qui a senti le péril s’agite et se soulève. On réclame l’abdication. Le bureau tout entier est délégué au gouvernement. Celui-ci, morne, abattu, effrayé, est décidé à l’abdication. Benjamin Constant aussi. Et tandis que la pauvre foule trompée, meurtrie, qui elle, ne voit et ne sent que la souillure étrangère, acclame encore l’empereur, lentement celui-ci cède et signe.

L’assemblée lui avait fait connaître qu’elle lui accordait une heure — ou qu’elle proclamait la déchéance.

Napoléon abdique pour son fils : la Chambre accepte son abdication et