Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.

occupions dans la journée et où nous passâmes la nuit : on nous fit savoir vaguement que l’empereur avait éprouvé quelques revers…

« Tarbes, 13 juillet 1840,
« J. DEVILLE. »   


Voilà donc ce qu’établit un témoin désintéressé qui a vu, qui a entendu. Il n’est pas douteux que Grouchy a reçu et connu l’ordre verbal qui l’aurait dû faire marcher vers la gauche. La gauche, c’était Waterloo ! Et quand même, au surplus, les ordres ne lui seraient pas parvenus ? Il entendait le canon et de l’effroyable tumulte tout tressaillait autour de lui. Des généraux, des officiers, des soldats même le suppliaient de marcher. Il hésita, marcha, s’arrêta, finit par ne plus vouloir. Il invoquait l’état des chemins. Hélas ! les chemins furent les mêmes pour les Prussiens qui débouchèrent à huit heures du soir sur l’infernal plateau. La vérité c’est que Grouchy a trop interprété littéralement l’ordre de l’empereur : il devait suivre les Prussiens. Il a pensé n’être qu’en observation. Suivre les Prussiens, c’était surveiller leur marche, empêcher leur jonction avec Wellington, et, ne le pouvant pas, joindre Napoléon pour lui apporter le secours de trente cinq mille hommes. Il ne comprit pas, esclave de cette obéissance passive qui anémie le cerveau, brise les ressorts de l’initiative, substitue la consigne à la conscience, et, deux fois dans le siècle, en 1815, à Waterloo, en 1870, à Metz, où des généraux devaient supporter la trahison de leur chef sans murmurer, deux fois en un siècle, fit descendre le pays au fond du désastre.

Celui-là, du moins, pouvait-il être évité ? Ce n’est pas douteux, et la plus âpre critique ne peut reprocher aucune faute professionnelle à Napoléon. C’est à tort que M. Thiers affirme que son plan exigeait, pour le succès, la rencontre impossible de trop de circonstances favorables. Aucun plan ne fut plus simple et plus digne de couronnement triomphal.

On a reproché à Napoléon d’avoir choisi Soult comme major-général. Ce choix, certes, était impopulaire. Mais sur qui pouvait s’arrêter le regard de l’empereur ? Tous ses maréchaux l’abandonnèrent : Berthier, Marmont étaient à Gand avec Louis XVIII ; Moncey, Mortier, Macdonald refusaient de marcher ; Augereau était indigne et plus que lui encore Murat. Restaient de la grande armée Ney, Davoust, Soult, Brune qui furent employés. On lui a reproché d’avoir écarté Murat de l’armée, et on pense que, sur le plateau du mont Saint-Jean, Murat eût achevé les Anglais, à la tête d’une cavalerie qu’il eût, mieux que Ney, électrisée. Mais Napoléon, deux fois trahi, manqua de confiance et qui sait si Murat, que sa félonie dépouillait de son ancien prestige, assimilé à Bernadotte, eût eu, sur une armée qui flairait la trahison, la moindre autorité ?

Quant au plan militaire, on se demande au contraire comment il n’a pas réussi. L’empereur est arrivé d’un bond, sans être arrêté entre Namur et