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de Murat. Qu’importait à la France cette restauration ? Elle ne lui était d’aucune utilité. Mais elle importait au prestige de la maison de Bourbon, et ainsi, tout le plan de notre ambassadeur fut de poursuivre cette vue égoïste et de faire triompher l’amour-propre royal. Pour aboutir à ce but, Talleyrand dressa une question de principes : c’était le respect de la légitimité. Au nom de la légitimité, Louis XVIII avait été replacé sur le trône ; il fallait, au nom du même principe, restaurer Ferdinand. Et Talleyrand soutenait cette thèse avec assurance, quoiqu’il fût lié par des promesses à Murat et, au dire de M. de Rovigo, attaché à lui par le don magnifique de 1 250 000 francs ; il est vrai qu’au dire du même auteur Ferdinand avait fait agréer la même offre et ainsi M. de Talleyrand devait apprécier qu’il était indépendant.

La France, par son représentant, et pour un mince hochet, la couronne de Naples, avait posé le principe de la légitimité. Mais alors, et du même coup, elle était entraînée à soutenir, contre la Russie et la Prusse, le roi de Saxe, lui aussi roi légitime et qu’on voulait déposséder. La logique l’emporta, en effet, et M. de Talleyrand s’unit à Metternich et à lord Castelreagh, non par des paroles, mais par un traité secret, défensif et offensif, entre la France, l’Angleterre, l’Autriche, contre la Russie et la Prusse. Aux termes de ce traité, chaque nation alliée conservait ce qu’elle avait acquis. Belle ressource pour la France qui avait été démembrée et à laquelle on ne restituait rien ! Chacune mettrait en ligne, pour défendre les droits de l’autre, 150 000 soldats.

La résistance de l’Angleterre, de la France, de l’Autriche aux prétentions prusso-russes irritaient l’empereur Alexandre qui avait ainsi vainement tendu la main pour recevoir des Bourbons le paiement de leur restauration et qui montrait par son attitude toute la colère que lui causait cette ingratitude. Il se résolut à un coup de force : il occupait militairement la Pologne en son nom et il occupait militairement la Saxe, au nom de la coalition, comme un gage, punissant ce pays de sa fidélité à Napoléon. Le 6 novembre, il céda la Saxe à la Prusse et M. de Nesselrode annonça qu’il y avait trois cent mille Russes en Pologne prêts à la guerre. La guerre, voilà où étaient acculées, cinq mois après la déchéance de Napoléon, ces nations qui s’étaient levées pour la paix. Des mois s’écoulèrent en conversations officieuses, en négociations privées, surtout en fêtes splendides et en festins, en intrigues d’alcôves dont M. de Talleyrand qui gardait toujours l’esprit libre, fit un récit libertin au vieux roi de la France. Enfin, au mois de février 1815, on finit par une transaction : on donna à la Prusse le duché de Posen, des territoires sur le Rhin, la Westphalie, 782 000 habitants de la Saxe, dont le roi se refusa à signer la cession. La Saxe, quoique réduite, échappa aux prétentions prussiennes. La Russie gardait le reste de la Pologne qu’elle devait reconstituer en royaume. La Belgique fut réunie à la Hol-