Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.

naire très brutal, et M. Mangin, procureurs généraux, ne firent que des allusions à ce fait. M. de Villèle ne se souciait pas d’ajouter aux difficultés en arrêtant l’illustre vieillard dont la jeune épée avait ouvert la voie à la liberté américaine. Il se disait aussi que cette impunité laissée aux chefs finirait par écarter les soldats, et en cela il ne se trompait pas.

La faute de M. de La Fayette ne fut pas d’éviter l’échafaud, car il ne fit pour cela aucun acte, brava par sa présence et par sa parole toutes les menaces, et il ne pouvait, après tout, forcer la main du geôlier. Sa faute fut d’avoir laissé, à l’abri de sa renommée et par elle entraînés, se grouper tant de dévouements obscurs sans les diriger vers un but. Pourquoi, en effet, tous ces complots, et qu’auraient fait les conjurés triomphants ? Ils voulaient prendre les villes fortes, s’avancer sur Paris, forcer le roi à capituler, soit. Mais une fois réalisé ce plan militaire si difficile, qu’auraient-ils fait ? Ce qui est intéressant dans une insurrection, ce n’est pas seulement le jour où l’on agit, c’est d’abord la veille, car on peut être surpris, c’est surtout le lendemain, car il faut créer après avoir détruit. Que voulait-on créer ? Les divergences étaient telles que ces conspirations avaient l’aspect d’un carrefour bruyant où toutes les opinions s’expriment à la fois. Tous se levaient au nom de la liberté, nom magique, mais aussi nom équivoque s’il ne s’appuie pas sur un ferme dessein et sur un programme. Or la liberté, pour beaucoup parmi ces militaires mécontents et aigris, elle prenait la figure pâlie de Napoléon II, et si, par impossible, celui-ci avait été restauré, les mêmes hommes, qui avaient avec son père piétiné le droit, l’eussent percé encore de leur épée. Ceux-ci voulaient le fils de Philippe Égalité. D’autres, mais en nombre extrêmement restreint, rêvaient à la République… Et c’était cette cohue désordonnée, sans lien moral, sans discipline d’esprit, qui allait à la conquête du trône !

M. de La Fayette n’a rien fait pour donner l’unité à cette foule ; que voulait-il lui-même ? Certes, il était désintéressé, ne recherchait rien que le rôle qu’il avait joué déjà, en Amérique, aux débuts de la Révolution, avant qu’il ne désertât son armée, le rôle de protecteur de la liberté. Il offrait sa vie allégremment et n’est pas responsable des ménagements habiles dont les ministres l’ont entourée. Mais ce n’est pas tout qu’un chef soit prodigue de son sang, il doit être avare du sang de ses soldats. Et pour cela, non seulement il doit les organiser, mais il doit encore prendre des mesures pour que la part, toujours si grande, du hasard malheureux soit restreinte ; au lieu de cela, ce furent des ajournements, des retards, des initiations, comme celle de Voelfled, qui devaient coûter la liberté et la vie à bien des hommes.

Et puis si ces complots n’ont pu réussir, c’est qu’il n’était pas dans leur nature d’aboutir. Un complot qui vise seulement une personne, qui ne réclame que peu de bras pour son exécution, celui-là réussit presque toujours. Une main se lève, redescend, un homme est abattu, et l’œuvre sinistre est