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les négociateurs ont compris que « nomination » veut dire « présentation », rien de moins, rien de plus[1]. Ce « rien de moins » n’est-il pas admirable ? Or nous mettons au défi de trouver, soit dans les écrits de Consalvi, soit dans la bulle du Saint-Siège en date du 18 septembre 1801, un mot quelconque permettant de dire que le pape a fait des réserves sur le sens du « nommera et confèrera » de l’article 4. Et pourtant si, il y en a une et elle est précieuse, car elle indique par son existence même la non-existence de toutes les autres. Consalvi, traitant du droit de nomination par le Premier Consul ; s’est préoccupé non pas de le lui retirer, mais seulement de faire garantir qu’il ne pourrait être exercé que par un chef d’État catholique et Spina écrit en son nom à Bernier que Sa Sainteté…« ne pourra pas accorder ce privilège de la nomination à tous ceux qui successivement occuperont sa place, à moins que constitutionnellement et essentiellement cette place soit toujours occupée par des catholiques. » Nous savons que satisfaction a été donnée sur ce dernier point par l’article 17. Il demeure donc bien acquis que le droit de nomination et non de présentation appartient au gouvernement et nous connaissons maintenant ce qu’est la « condition absolue mise par Rome au droit de patronage[2]. » Quant au pape, il est, selon la remarquable expression de Portalis[3], un « collaleur forcé ». Il doit, en effet, purement et simplement conférer « l’institution canonique » aux archevêques et évêques nommés par le gouvernement. Il doit le faire sans aucun délai… Mais ici de nouveau la papauté ne reconnaît plus aucune autorité au Concordat. M. Mathieu — dont la nomination archiépiscopale fut imposée par le pape au ministère Méline précisément à l’encontre du texte concordataire[4] — n’hésite pas à voir dans la résistance du chef de l’Église romaine une arme légale : « Ce refus d’institution est parfois la seule défense que le pouvoir spirituel puisse opposer aux prétentions injustes au pouvoir temporel. Pie VII s’en servait contre Napoléon… ». Nous voyons là, quant à nous, la démonstration de plus en plus évidente de la duplicité qui préside à toute la conduite de la « Cour romaine » lorsqu’il s’agit pour elle d’appliquer à la lettre un traité qu’elle a consenti et qu’en toutes circonstances on invoque en son nom en le dénaturant. Il y a à l’attitude de la papauté une raison que nous nous sommes jusqu’ici efforcés de laisser de côté, mais que nous sommes maintenant obligés de mettre en valeur, parce qu’elle fait tout le fond des débats entre la religion catholique romaine et l’État civil, quel qu’il soit : la papauté n’est pas seulement l’organisme supérieur d’une certaine religion, la gardienne d’un dogme, elle veut être un gouvernement international. Et c’est pourquoi c’est elle qui veut nommer ses représentants, c’est pourquoi elle n’entend pas se soumettre à des règlements, édictés par ce qu’elle considère comme un gouvernement

  1. Voyez Noblemaire o. c. p. 73.
  2. C’est un sous-titre de M. Mathieu o. c. p. 85.
  3. Voyez Portalis. Discours, rapports et travaux inédits sur le Concordat, p. 40.
  4. Voyez la brochure de M. Delpech, Le Concordat et les articles organiques, p. 7.