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Pie VII, et s’il faut en croire Grégoire[1], cinquante évêques et dix mille prêtres mariés répartis dans les églises de trente-quatre mille communes. Grégoire exagère certainement, entraîné qu’il était par son dévoûment à une église dont il fut l’âme et à laquelle, selon l’expression d’un prélat de ce temps-ci, il resta fidèle « quand personne ne la prenait plus au sérieux, si bien qu’à la fin de sa vie il en était devenu le seul évêque et presque le seul croyant. » L’Église constitutionnelle n’était pas aussi puissante, c’est certain[2] parce que, si le coup d’État du 18 brumaire lui rendit une liberté que le Directoire avait confisquée, il ouvrit aussi les frontières ou la prison à une quantité de prêtres réfractaires romains, d’où une concurrence sérieuse qui devait lui faire éprouver de grands dommages, car elle n’était pas assez riche pour lutter victorieusement. Malgré cela cependant, le clergé constitutionnel avait encore une forte situation et les égards marqués par Bonaparte à Grégoire nous sont une preuve qu’il était puissant : nous savons, en effet, que Bonaparte ne flatte ou n’honore de son amitié que ceux qu’il a intérêt à s’attacher. Il a trompé Grégoire — en qui M. Mathieu veut voir un « conseiller religieux » du premier consul et qui n’est en réalité que sa dupe — en le persuadant que ses préférences allaient à l’Église constitutionnelle, et, dans le même temps qu’il négociait le Concordat avec, le pape de Rome, il accablait de prévenances le pape, de l’« Église artificielle et schismatique »[3]. Il est vrai que c’était un moyen d’influencer Pie VII. C’est dans ce but qu’il autorisa la tenue d’un concile national de l’Église constitutionnelle qui se tint à Saint-Sulpice du 29 juin 1801 au 16 août suivant.

L’Église constitutionnelle n’avait pas de rivale plus dangereuse que l’Église catholique romaine en pleine œuvre de propagande et de fermentation. Comme l’établit M. Debidour[4], Bonaparte a menti en se donnant comme le restaurateur du culte catholique, car, selon le chiffre de l’évêque Lecoz, il y avait en France 40 000 paroisses desservies par les prêtres papistes avant que Bonaparte ne prît le pouvoir, et on les retrouve aussi à la veille du Concordat. Ce qui a toujours caractérisé l’Église romaine, c’est sa faculté d’attirer à elle de l’argent, beaucoup d’argent et, tandis que les autres cultes restent pauvres, on la voit pendant le Consulat accumuler les capitaux et, dès lors, entamer son œuvre habituelle de propagande avec toutes les chances de succès. Au début même, il y eut de l’étonnement à la suite des dons faits aux églises, et l’on en trouve trace dans cette réflexion d’un policier[5] : « Les églises se rouvrent partout et, cependant que les malheureux gémissent dans la vaine attente d’un faible secours, les libéralités des fidèles se doublent en faveur des mi-

  1. Cardinal Mathieu. Le Concordat de 1801, p. 41.
  2. Cardinal Mathieu, État de la France au 18 brumaire, p. 281.
  3. Mathieu, O. C., 39.
  4. 0. c, p. 184.
  5. Arch. nat. AF iv 1329.