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CHAPITRE PREMIER

LE RÉGIME DE LA SÉPARATION.

Par l’instruction scientifique répandue à travers le pays républicain, nous tentons d’extirper toutes les croyances religieuses qui ne peuvent qu’enchaîner les consciences, affaiblir les énergies par la crainte superstitieuse d’une prétendue justice divine. Nous nous efforçons de faire prévaloir cette opinion fort simple que toute religion est immorale, puisqu’elle ne repose que sur cette seule base : la peur. Or, l’argument dernier, on le sait, de tous les partisans des religions, quelles qu’elles soient, est celui-ci : « Il faut de la religion pour que la morale subsiste ! » Dès l’instant où nous avons prouvé que la religion, loin d’être la source de la morale, est tout au contraire viciée dans son principe même, qui se présente à nous comme éminemment immoral, nous devons poursuivre avec une persistance systématique la destruction de toutes les religions. Nous sommes alors des sectaires, et malheur à nous ! Le mineur qu’un éboulement vient d’enfermer dans la mine ne doit pas tenter de vaincre les ténèbres et de chercher une issue ; l’esclave ne doit pas chercher à rompre ses chaînes. On a décoré du nom de liberté le droit de retenir les pensées dans les liens des religions, c’est-à-dire le droit de violer toutes les libertés. La Révolution n’a pas pu affranchir totalement les esprits et cela parce que les hommes qui l’ont faite se préoccupant seulement de renverser une certaine religion, la religion catholique romaine, prodigieusement riche et puissante sous l’ancien régime, n’ont pas su se dégager de toute préoccupation religieuse. Il leur a fallu un culte de la Raison, un culte de l’Être Suprême… N’aboutissant pas à l’anéantissement complet du sentiment religieux, la Révolution avait trouvé cette solution : le régime de la séparation, c’est-à-dire la coexistence de toutes les religions dans l’État sans que celui-ci intervienne autrement que pour punir « les persécuteurs et les séditieux de tous les partis ». Mais il importe de remarquer dès maintenant que, tout au moins en ce qui concerne la religion catholique, le dernier gouvernement révolutionnaire, le Directoire, avait entrevu la solution idéale que nous appelons, c’est-à-dire la suppression de la croyance. Le gouvernement comme l’écrit M. Aulard[1], avait appliqué le principe de la séparation avec l’espoir « d’arriver peu à peu à détruire en France la religion catholique qu’il jugeait incompatible avec les principes républicains. » Ce qu’il advint alors, nous le savons : tout en proclamant un principe directeur, le Directoire prit des mesures qui le démentaient et retourna à l’inévitable persécution dirigée contre les prêtres. Le pays, n’étant nullement prêt à la déchristianisation radicale, avait compris et approuvé le principe de la séparation, qui, en

  1. Histoire politique de la Révolution française, 727.