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tatives incessantes et désespérées, les rangs ennemis, ceux-ci, continuellement accrus par des réserves jusque là dissimulées, se reformaient à nouveau et reprenaient contre nous une attaque plus vive. Jusqu’au soir, on ne sut préciser le côté de la victoire. La nuit allait cependant en décider autrement : une vigoureuse attaque, dirigée par York, fut menée, à l’improviste, contre les troupes de Marmont qui, surprises dans leurs cantonnements, furent complètement anéanties ; ceux que l’ennemi n’avait point atteints s’enfuirent en désordre en abandonnant l’artillerie qui tomba aux mains des Prussiens.

Cet échec, qui eut un retentissement lamentable, détermina le retour de l’empereur par Soissons. Là, tandis que les plus factieuses nouvelles lui parvenaient chaque jour, tandis qu’il apprenait les progrès de l’invasion, les reculades précipitées de plusieurs de ses lieutenants, l’impéritie, l’hésitation ou l’imprudence des autres, tandis qu’on lui annonçait les symptômes des soulèvements et les excès des passions politiques qui présageaient sa déchéance, il déploya une activité, une énergie indomptable, une miraculeuse présence d’esprit qui sont assurément les plus étonnantes manifestations de ce génie néfaste et singulier.

En deux jours, il rétablit l’ordre dans son armée et lui donna, au milieu des emportements d’un zèle fiévreux, une cohésion nouvelle. La nouvelle lui parvint en même temps de la marche sur Reims d’un corps de 15 000 Russes et Prussiens sous le commandement de Saint-Priest. Il se mit aussitôt en route, et infligea une sanglante défaite à ces contingents, dans une rapide rencontre au cours de laquelle Saint-Priest trouva la mort.

Cet avantage si brusquement remporté fit hésiter à nouveau les alliés ; Napoléon pensa qu’un atermoiement lui serait, en la circonstance, très funeste, en ce qu’il donnerait aux alliés le loisir de se remettre et d’élaborer de nouveaux plans. Quelque hasardeux que fût ce dessein, l’empereur résolut de tenter une action décisive contre Schwartzenberg, dont il espérait venir à bout, tant il connaissait son indécision et ses lenteurs. L’armée de Bohème comptait près de 100 000 hommes ; Napoléon n’avait guère avec lui que 30 000 soldats ; la disproportion de son effectif ne l’arrêta point dans son entreprise.

Napoléon se hâta vers l’Aube, comptant surprendre ceux qu’il cherchait ; mais les alliés avaient d’eux-mêmes décidé la retraite dans la direction de Troyes. L’empereur souhaitait vivement mettre à exécution le plan remarquable qu’il avait conçu : précipiter, par une défaite, la retraite des armées coalisées et opérer sa jonction avec les garnisons laissées dans les places fortes à mesure qu’il s’avançait vers les frontières. La réussite de ce dessein, c’était la délivrance du territoire, le salut de l’Empire et du prestige de Napoléon. Le 20 mars, l’empereur se heurta, à Arcis-sur-Aube, à Schwartzenberg qui, contrairement à sa coutume, et sûr cette fois de pouvoir résister à tous les assauts, donna l’ordre d’attaquer sans retard ; débordés de toutes parts et décimés par une artillerie nombreuse, nos cavaliers suspendent le mouve-