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l’Empire rassemblés à cet effet aux Tuileries ; le lendemain, dès l’aube, il se mettait en route pour Châlons, où la nouvelle de graves événements l’attendait. Les alliés venaient, en effet, de faire éprouver à certains corps français des pertes considérables. Ils avaient d’ailleurs, dès le passage du Rhin, envahi le territoire français presque sans coup férir. Quelques villes avaient tenté de résister, mais s’étaient, au bout de quelques heures, rendu compte des dangers que cette vaine obstination leur faisait courir, et elles avaient aussitôt ouvert leurs portes à l’ennemi. Schwartzenberg, dont les troupes, réparties en plusieurs corps, avaient successivement gagné Langres, Dijon et Bar-sur-Aube, était assuré de la plus complète victoire. Victor, Macdonald et Marmont, que l’infériorité numérique et le découragement de leurs troupes mettaient vis-à-vis de l’ennemi dans la plus fâcheuse posture, reculaient de jour en jour, redoutant avec raison l’issue d’une bataille. Blücher, qui avait mené ses troupes par la Lorraine, arriva dans le même temps à Brienne. Ainsi rapprochées, les deux grandes armées coalisées allaient agir de concert et marcher concurremment sur Paris. La gravité de la situation n’échappa point à Napoléon, dont le génie de tacticien et de chef militaire ne fut jamais plus surprenant.

L’empereur, qui souhaitait pouvoir neutraliser les efforts des armées de Bohème et de Silésie en s’opposant à leur jonction, décida, dès son arrivée à Châlons, le 23, un mouvement ingénieux et hardi. À la tête de quarante mille hommes, il traversait Saint-Dizier que les alliés occupaient, et, quelques jours après, il parvint à joindre Blücher à Brienne.

L’attaque fut des plus vives, et les pertes que nos troupes infligèrent à l’ennemi excédèrent d’assez peu les nôtres. Néanmoins on tint la victoire des Français pour certaine, puisque Blücher reculait. Certes, il se repliait, mais habilement, puisqu’il fit sa jonction avec Schwartzenberg à Bar-sur-Aube. Le prestige de l’avantage remporté par les Français à Brienne ne devait pas être de longue durée. Le 1er février, Schwartzenberg et Blücher, à la tête de 130 000 hommes, marchèrent contre nos troupes qui se tenaient dans la plaine de La Rothière ; la résistance de nos troupes, écrasées par la supériorité numérique de l’ennemi, fut héroïque et ne dura pas moins de sept heures. Napoléon ordonna la retraite sur Troyes, et Marmont fut désigné pour la couvrir, ce qu’il fit en engageant dès le lendemain d’heureuses offensives, notamment contre les corps autrichiens de Wrède. Néanmoins, la journée de La Rothière avait été désastreuse, un grand nombre des nôtres étaient aux mains de l’ennemi ; plusieurs de nos contingents avaient subi une profonde désorganisation ; l’effet moral produit était pire ; tandis que nos troupes, abattues, découragées, acceptaient les plus sombres présages, l’exaltation des alliés était à son comble ; rien ne semblait plus s’opposer à leur investissement de Paris.

En même temps, Napoléon apprenait l’abandon de la Belgique par