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opinions extrêmes ne l’emporteraient plus. C’est le sens qu’il faut attacher à la décision qui supprima les fêtes anniversaires d’une victoire de parti : plus de fête du 21 janvier, plus de fête du 17 fructidor ni du 10 août, ni du 9 thermidor : le souvenir de toutes ces dates doit disparaître et les réjouissances éclater seulement au retour périodique de deux jours glorieux : le 14 juillet et le 22 septembre, la prise de la Bastille et la proclamation de la République. Souvent, les conséquences d’importantes dispositions gouvernementales échappent à l’examen du peuple. Les législateurs savent glisser dans un texte un mot, une phrase, qui permettent de transformer en une arme dangereuse ou bienfaisante telle disposition sans importance au premier abord. Il serait aisé de prouver cette affirmation sans remonter bien loin le cours de notre histoire. Mais, lorsqu’un acte législatif vise une manifestation quelconque de sa vie, le peuple réfléchit, discute et conclut.

Faire du 14 juillet et du 22 septembre les deux seules fêtes nationales, c’était exactement dire à la « masse » dont nous avons analysé les sentiments : la Révolution demeurera glorieuse dans toutes les pensées par le souvenir perpétué de son premier rayon qui éclaira l’effondrement de la Bastille et de son apothéose triomphale qui nous donna la République. C’était demander l’oubli des luttes, c’était proclamer l’avènement de l’ordre à l’abri de ce mot prestigieux : la République ! Le pays ne comprit pas que la Révolution n’avait pas pour terme dernier la sonorité creuse de ce mot et que ce sont précisément les luttes des partis qui ont déterminé la puissance productive du grand mouvement révolutionnaire. Le pays n’a pas voulu comprendre… Le 14 juillet, le 22 septembre, Bonaparte : toute sa gloire est là, et il faudra bien des années et bien des désastres pour lui montrer qu’il accoupla dans une union monstrueuse la liberté naissante du 14 juillet et son étrangleur du 18 brumaire.

Influencés par tous les procédés que nous avons indiqués, séduits par l’œuvre de concentration que nous venons d’exposer, gagnés enfin par des actes que nous étudierons prochainement : pacification définitive de la Vendée, offres de paix à l’Angleterre et à l’Autriche, juste équilibre maintenu entre les cultes et mesures de tolérance religieuse, — les citoyens français consacrèrent une situation établie sans eux et cela dans un mouvement général de foi en Bonaparte, défenseur et soutien de la République.

CHAPITRE III

BONAPARTE, PREMIER CONSUL, « COMPLÈTE » LA CONSTITUTION DE L’AN VIII

C’est au 3 nivôse (24 décembre 1799) que l’on a accoutumé de faire commencer ce que les historiens appellent le gouvernement personnel de Bonaparte. C’est à cette date, en effet, qu’il prit, conformément au décret rendu