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seules, à son sentiment, faire d’un tableau un chef-d’œuvre, il ne concevait point que la vie put désirer souvent et avec raison une expression plus pathétique ; cet excès dans les moyens lui paraissait alors un romantisme déplorable. Il estimait que c’était là du désordre, une peinture d’instinct, et qu’on ne parvenait point ainsi à imposer à de fortes œuvres la sérénité et l’harmonie durables qu’elles sont en en droit d’attendre pour passer à la postérité.

C’est à son retour de Rome, après avoir réalisé des œuvres d’une incomparable grandeur, qu’il composa le tableau dont la seule puissance suffirait à l’immortaliser. L'Apothéose d’Homère l’emportera sur toutes les œuvres allégoriques exposées en te temps-là. La couleur, la majesté, l’ordre, le dessin et la grandeur en sont incomparables. Ingres parvint véritablement, ce jour-là, aux plus hautes cimes de cet art classique dont il avait si merveilleusement compris les réalisations immortelles à travers les chefs-d’œuvre de Raphaël et de Mozart. Ce n’est pas sans raison qu’on oppose Delacroix à Ingres, à cause des divergences radicales qui les séparent. Ils ont, l’un et l’autre, fourni des expressions complètes et fécondes de deux interprétations différentes et légitimes de la nature. Pour un juge impartial, à moins qu’on ne laisse intervenir des raisons de sentiment, on ne peut établir de différences entre ces deux arts si opposés. Les deux artistes ont apporté, l’un et l’autre, à la réalisation de leur idéal esthétique tant de force, de probité et de génie qu’ils méritent une égale admiration. Puisqu’il est vrai d’affirmer que l’art n’a point de critérium extérieur, et qu’il se trouve là où l’expression de la vie est intense, vraie et harmonieuse, on cessera donc de considérer Ingres et Delacroix comme les interprètes nécessairement hostiles de deux manières d’art radicalement opposées.

Les plus fortes œuvres d’Ingres sont : l'Apothéose d’Homère, Œdipe et le Sphinx, le Sommeil d’Ossian, la Source et quelques portraits de Napoléon.

Telle est, dans ses grandes lignes, l’évolution de la peinture sous le Premier Empire. Deux influences prépondérantes et d’une importance à peu près égale s’exercent sur le développement de la jeunesse artiste : celle de Napoléon, qui, par un ordinaire effet de ses manies tyranniques, réglemente l’inspiration, proscrit à peu près les productions qu’on ne peut considérer, dès l’abord, sous le point de vue de l’honneur national, concentré délibérément dans sa personnalité, toute l’inspiration virtuelle de la peinture ; l’autre influence est celle de David, qui finit par avoir raison des tempéraments les moins doués, auxquels elle impose un métier honnête et consciencieux et une froideur qui n’entraîne plus guère qu’une majesté de convention.

Néanmoins, ces deux influences ne font que ralentir de quelques années l’évolution de l’art français. Plusieurs tempéraments : Gros, Géricault, Ingres, s’en dégagent, donnent d’admirables œuvres et reconquièrent ainsi