l’époque sont précisément Chateaubriand et Mme de Staël qui, tous deux, refusaient de s’agenouiller devant le César.
Il n’est pas inutile de rappeler dans quelles circonstances particulièrement dramatiques s’étaient écoulées les premières années de l’existence de Chateaubriand. Une vie si pathétique et si mouvementée, des aventures si propres à ce tempérament passionné, devaient, au lieu de le contenir, lui donner une sorte d’exaltation grandiloquente, dont il ne put jamais se départir.
Partagé entre des désirs contraires, incapable de faire preuve d’une énergie sûre et réfléchie, il hésite d’abord entre plusieurs vocations pour lesquelles il n’avait d’ailleurs aucune inclination naturelle. La carrière ecclésiastique lui parut correspondre à ses ferveurs mystiques, à ses enthousiasmes religieux, mais il ne garda pas longtemps cette idée, et nous le verrons, en 1791, après la mort de son père, partir pour l’Amérique et explorer l’Hudson, les lacs du Canada et la Floride, se passionner pour la vie primitive des Natchez, des Masrogules et des Hurons.
Au bout de quelques mois de séjour, il revint en France, se maria, puis émigra en 1792, à la suite des princesses qu’il voulait défendre, non que son zèle pour leurs personnes l’engageât à le faire, mais en raison du respect qu’il avait pour la royauté. Ce fut à cette époque que commença pour lui une ère de malheurs et de misères matérielles telles, qu’on s’étonna fort de l’en voir sortir. Les blessures, la faim, le froid, les maux de toutes sortes l’assaillirent en même temps.
Engagé à Coblentz, dans la septième compagnie bretonne, il fut, pendant la défense de Thionville, atteint de la petite vérole, blessé à la cuisse lors de la retraite des Prussiens et abandonné dans un fossé. Il fut trouvé là par des soldats qui le jetèrent dans un fourgon, où il reçut en passant les soins des femmes de Namur, ce qui ne l’empêcha pas d’arriver mourant à Bruxelles. Son frère parvint ensuite à le faire embarquer pour Jersey dans la cale d’un petit bateau, où son état parut si désespéré que le patron, pendant une relâche à Guernesey, l’abandonna sur le rivage. Recueilli par des pécheurs, il retrouva enfin quelques forces et put gagner Jersey, puis Londres, où il supporta une vie de privations et de misères indicibles.
Aux souffrances physiques qu’il supporta en Angleterre, se joignirent pour Chateaubriand les douleurs morales les plus cruelles : c’est là, en effet, qu’il apprit successivement le supplice de son frère et de sa belle-sœur, montés sur l’échafaud en 1794, l’incarcération de sa sœur Lucile, de sa femme, et enfin la mort d’une autre de ses sœurs, Mme de Fourcy, et de sa mère.
C’est à cette époque que l’ancienne ferveur qui jadis avait dominé son esprit redevint prépondérante, et Chateaubriand ressentit à nouveau les en-