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des propriétés, qui lui-même est un indice certain de leur division entre un plus grand nombre d’individus, il est permis d’en conclure que les propriétaires ont dû s’accroître dans une proportion à peu près semblable : car, enfin, celui qui acquiert pour réunir à ses autres biens n’augmente pas le nombre des articles ; il ne fait qu’augmenter sa cotisation. C’est le propriétaire nouveau qui nécessite un nouvel article. »

M. Colchon n’est pas sans regretter un peu une telle diffusion de la propriété :

« La passion d’acquérir, dit-il, en attachant trop l’homme à ses foyers et à la terre, a été un obstacle au progrès de l’industrie. Les droits de parcours et de vaine pâture, les communaux en sont d’autres, parce qu’ils fournissent aux prolétaires les moyens d’élever et d’entretenir du bétail dont ils obtiennent une partie de leur nourriture et de leurs vêtements, sans que le besoin les contraigne d’y pourvoir par le travail. »

Et M. le préfet n’envisage pas sans effroi la perspective de ne plus pouvoir trouver suffisamment de manœuvres :

« Le sort des habitants des campagnes s’est amélioré, dit-il plus loin ; c’est entre eux que se sont répartis la plupart des domaines ecclésiastiques qui faisaient presque le tiers des propriétés de ce département : ils ont peu de besoins, et l’industrie y est languissante, pour ne pas dire nulle. Si donc l’on excepte les grandes usines, on ne peut point citer de manufactures belles et florissantes. Ce n’est pas faute de bras ; mais l’aisance, assez généralement répandue dans les villages, les éloigne du travail. On a même en quelque sorte à se féliciter que le luxe ait commencé à s’y insinuer, qu’on y fasse usage de nourriture et de vêtements moins grossiers, ainsi que des liqueurs fermentées : sans cet accroissement de dépenses, on aurait beaucoup de peine, il serait peut-être impossible de rencontrer dans plusieurs communes un journalier. »

En somme, MM. les préfets n’avaient pas encore reçu l’ordre d’avoir une opinion sur la question et ce n’est pas dans ces rapports que nous pouvons saisir la pensée du maître. Nous la trouvons infiniment mieux dégagée dans un mémoire adressé à la Société centrale d’Agriculture et qui fut couronné en séance publique le 15 juillet 1810. Pareille récompense n’eût point été accordée si l’auteur n’avait traduit fidèlement la pensée napoléonienne établissant les avantages de la grande propriété. Il s’agissait sans doute de justifier, par des raisons économiques, des préférences qu’on aimait mieux ne pas expliquer sur le terrain politique.

L’auteur du mémoire est M. Pichon qui s’exprime ainsi :

« L’importante question d’économie politique des avantages ou des inconvénients des grandes propriétés, qui est encore indécise, ou plutôt contestée par beaucoup d’agronomes, paraîtrait presque résolue dans l’étendue de l’arrondissement de Boulogne.