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LA FRANCE INTÉRIEURE

CHAPITRE PREMIER

LES MŒURS ET LES INSTITUTIONS

Depuis longtemps déjà, nous nous sommes laissés entraîner à travers l’Europe, à la suite des armées impériales ; nous voudrions revenir maintenant à l’histoire intérieure de notre pays, tâcher de saisir quelques détails de sa vie intime, et reposer nos yeux sur des tableaux moins répugnants que ceux de tant de champs de bataille ensanglantés.

Pendant que le canon tonnait un peu partout, pendant que des milliers et des milliers d’hommes s’offraient en holocauste à l’ambition effrénée du conquérant, l’existence nationale n’était point pourtant suspendue : malgré les terribles saignées de la conscription, malgré les continuelles hécatombes exigées par la frénésie de Napoléon, il restait des paysans pour remuer le sol de France, il restait des ouvriers pour peupler les usines. Nous ne voudrions oublier ni les uns ni les autres, et, si haut que parle la poudre à cette époque, elle ne doit pas nous empêcher de prêter l’oreille aux gémissements timides du prolétariat, de connaître les maux dont il souffrit, de savoir, autant que de rares documents le permettent, ce que lui rapportait de bien-être la gloire napoléonienne.

Mais auparavant, débarrassons-nous, aussi rapidement que possible, de l’exposé, pourtant nécessaire, des événements politiques qui, depuis Tilsitt jusqu’à la guerre de Russie, constituèrent ce que nous pourrions appeler la vie officielle de la France.

Au lendemain de Tilsitt, Napoléon paraissait résolu à laisser le pays reprendre haleine après les terribles chevauchées d’Iéna, d’Eylau et de Friedland. « J’ai fait assez le métier de général, dit-il à Cambacérès, je vais reprendre avec vous celui de premier ministre. » Et cette déclaration pacifique ne contribua pas moins que les victoires récentes à assurer à Napoléon un accueil triomphal quand, au mois de juillet 1807, il revint s’installer au palais de Saint-Cloud. L’enthousiasme populaire s’affirma par des illuminations, des cris, des vivats ; l’enthousiasme officiel, par des discours dont la platitude doit être soulignée, tant elle décèle, chez la haute bourgeoisie du temps, de méprisable bassesse.