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autrichiens, s’élevait à près de 700 000 hommes. Les alliés comptaient dans cet ensemble pour un peu plus de la moitié.

Les forces que le tsar comptait opposer à Napoléon, pour n’avoir point l’importance numérique des troupes de celui-ci, n’en étaient pas moins considérables ; leurs chefs avaient d’ailleurs, pour la plupart, toutes les qualités de tactique ou d’intrépidité requises pour assurer la fortune des armées. Les troupes d’Alexandre formaient environ cinq corps principaux, au premier rang desquels il faut signaler la fameuse et redoutable armée de 110 000 hommes commandée par Barclay de Tolly, cantonnée de l’autre côté du Niémen, en avant de la Dvina. Un autre corps, d’environ 40 000 hommes, se trouvait, non loin de Smolensk, sous les ordres de l’impétueux Bagration, dont les exploits se renouvelèrent à tout instant dans cette campagne. Au sud, deux corps, d’environ 50 000 hommes chacun, se tenaient en réserve sous le commandement de Tormassof et de Tchitchakof.

Le premier bulletin de la Grande Armée, daté de Gumbinnen, le 20 juin 1812, fut en quelque sorte le signal officiel des hostilités. Napoléon y déclarait, en effet, avec cette emphase impérieuse et cette impudence qu’il apportait toujours à la rédaction des bulletins, que la guerre était entreprise contre la Russie et qu’il fallait accuser cette nation de l’impossibilité où l’on s’était trouvé de négocier efficacement.

Le 23 juin, les ponts que les troupes devaient utiliser pour passer le Niémen furent jetés et, dès le lendemain, commença ce défilé de 400 000 hommes qui ne dura pas moins de quatre jours. Dix lieues seulement séparaient Kovno, point où Napoléon s’était établi pour présider au passage du fleuve par la Grande Armée, de Wilna, où résidait Alexandre. On put croire, un instant, à l’éventualité d’un combat sanglant que le tsar se hâta d’esquiver en se retirant sur la Dwina. Napoléon entra donc avec 150 000 hommes à Wilna sans résistance ; il profita de son passage en Lithuanie pour exalter chez les populations polonaises qui l’acclamaient des sentiments d’indépendance et d’autonomie.

À peu près dans le même temps, Napoléon, jugeant qu’il n’était guère possible de retarder davantage la nouvelle d’événements si importants, fit connaître, au moyen d’une communication officielle adressée au Sénat, la situation respective de la France et de la Russie. Cambacérès, sans doute pour calmer l’opinion, faisait au sein de l’Assemblée certaines confidences sur les traités conclus avec l’Autriche et la Prusse. Les sénateurs, singulièrement apeurés, n’osèrent protester contre les entreprises de celui dont ils n’étaient plus que les valets obséquieux ; ils se hâtèrent d’approuver tout ce que l’empereur avait bien voulu leur faire connaître et donnèrent ainsi une preuve frappante de leur inertie et de leur lâcheté.

Le passage des troupes impériales en Lithuanie fut marqué par une série d’événements tragiques. Les fautes commises dans l’organisation du service