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elle-même le titre de Majesté et décernant à son président, celui d’altesse. Au début d’ailleurs, cette junte semblait animée d’un violent esprit de réaction : elle rétablit l’inquisition supprimée, on se le rappelle, par Godoï et interdit la circulation des imprimés ; mais bientôt, pour s’attacher les sympathies des masses populaires, elle comprit la nécessité de faire quelques réformes et sous la pression de l’opinion publique se résigna à convoquer les Cortès générales pour l’année suivante.

Malgré cela, l’opinion restait défiante et la junte déchirée par des discussions intestines, se décida le 28 janvier 1810 à remettre le pouvoir entre les mains d’un Conseil suprême de régence composé de cinq personnes.

Ce Conseil, imbu de tous les préjugés de l’ancien régime se mit aussitôt à persécuter les anciens membres de la junte favorables aux réformes, bannissant les uns, emprisonnant les autres, et résolut d’ajourner l’ouverture des Cortès.

Mais ces mesures rétrogrades exaspérèrent les juntes provinciales qui insistèrent pour la réunion des assises nationales. L’agitation fut telle que le Conseil de Régence ne put résister davantage et qu’il rendit un décret ordonnant l’élection des députés et la réunion des Cortès pour le mois d’août suivant dans l’île de Léon.

La base de l’élection était une sorte de suffrage universel à trois degrés : tout électeur concourait à élire la junte de la paroisse qui elle-même choisissait les juntes de districts : celles-ci nommaient les juntes provinciales d’où sortaient enfin les députés définitivement élus.

Les Cortès s’ouvrirent à Cadix le 24 septembre et tout de suite les cléricaux réacteurs profitèrent du trouble et de l’hésitation de la première séance pour imposer aux nouveaux élus le serment de fidélité à la religion catholique et à la monarchie.

Mais bientôt l’assemblée se reprit et Torrero, député d’Estramadure, proposa un projet de loi visiblement inspiré par le souffle révolutionnaire qui, quelques années auparavant, avait enflammé les âmes de l’autre côté des Pyrénées. D’après ce projet, connu sous le nom de décret du 24 septembre, les Cortés se déclaraient dépositaires de la souveraineté nationale, affirmaient que les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ne pouvaient rester dans les mêmes mains, proclamant enfin la responsabilité de toute personne exerçant le pouvoir exécutif.

Une telle attitude, nettement conforme aux traditions de la grande Révolution, ne pouvait manquer de soulever des colères et le conflit éclata que aussitôt entre les Cortès et le Conseil de régence qui donna sa démission le 27 octobre et fut remplacé par trois nouveaux régents. Dès lors, l’effort se poursuivit vers la réalisation des réformes : les questions les plus passionnantes furent soulevées et la liberté trouva d’éloquents défenseurs, dont le plus ardent fut Arguelles.