Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Il y avait, au commencement du siècle, en Espagne, 2 051 maisons religieuses d’hommes, 1 073 de femmes, et le nombre total des individus des deux sexes montait à 92 727).

Certes, il est en effet regrettable que Godoï n’ait point mis plus d’énergie à débarrasser l’Espagne d’un pareil fléau, mais il faut au moins lui savoir gré de sa perspicacité. L’intention seule suffit d’ailleurs à liguer contre lui toute cette formidable armée de prêtres et de moines.

Il acheva encore de surexciter les colères par la suppression des courses de taureaux : la spada du torero et le crucifix du moine se trouvèrent alors réunis en une redoutable alliance contre l’audacieux favori.

Et, tandis que croissait l’impopularité de Godoï, l’enthousiasme aveugle de la foule allait de plus en plus à l’héritier du trône, à Ferdinand, prince des Asturies, ambitieux et haineux, jeune homme à l’âme encore plus affreuse que le visage, menteur et traître, fanatique et soumis, digne tout à fait des espoirs que plaçaient en lui les gens d’église et les pires réacteurs du royaume.

Tels étaient les personnages aux mains desquels les destinées de l’Espagne se trouvaient remises et contre lesquels Napoléon allait exercer tour à tour sa diplomatie et sa brutalité, profitant d’abord avec une suprême habileté des querelles de famille qui ébranlaient le trône et ne perdant la partie que pour avoir compté sans l’opiniâtre résistance d’un peuple dont il ignorait le caractère.

Il nous faut aborder maintenant l’exposition des faits, elle sera aussi brève que possible :

Nous avons vu déjà qu’au lendemain de Tilsit, Napoléon avait résolu de marcher contre le Portugal devenu un des principaux entrepôts du commerce britannique ; l’expédition fut précédée par le traité de Fontainebleau conclu avec Charles IV, auquel on promettait quelques provinces, et le titre d’empereur des Indes.

Aussitôt, dès le 17 novembre, Junot pénétrait en Portugal et atteignait en trois jours Lisbonne où il entrait avec quarante mille hommes.

En même temps, et sous prétexte de préparer des renforts pour Junot, Napoléon inondait de troupes les villes espagnoles, faisait occuper Pampelune et Barcelone et envoyait Murat jusqu’aux portes de Madrid (mars 1808) ; les généraux Dupont et Moncey avaient précédé ce dernier dans la péninsule.

Il ne fut plus guère permis alors à la famille royale de se méprendre sur les projets de Napoléon, et Charles IV, craignant de tomber aux mains des troupes de son « cher allié », essaya de quitter précipitamment son palais d’Aranjuez pour se réfugier en Andalousie, obéissant ainsi aux conseils pressants du « prince de la Paix ». Le peuple vit dans cette tentative d’évasion une preuve de trahison et l’émeute ne tarda pas à devenir menaçante ; elle envahit l’hôtel de Godoï, faillit l’écharper et vint gronder si formidablement