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Et l’orgueil des victoires, même chèrement payées, ne viendra plus que rarement offrir une misérable compensation à tant de désastres accumulés ; nous touchons en effet à la période du déclin de la puissance napoléonienne, et la guerre d’Espagne, où nous allons entrer, va marquer le premier arrêt de l’aigle dans son vol audacieux.

CHAPITRE II

LES GUERRES D’ESPAGNE

Lorsque sur son rocher de Sainte-Hélène, Napoléon, aux dernières années de sa vie, jeta vers le passé un suprême regard, essayant de juger ses propres actes et de prononcer un arrêt historique sur son œuvre, il s’écria, dit-on, que la guerre d’Espagne était une des plus grandes fautes de sa politique.

Il n’était pas besoin, en vérité, d’une profonde perspicacité pour arriver à une telle constatation ; comment l’empereur déchu aurait-il pu se dissimuler à lui-même les conséquences désastreuses d’une guerre qui porta le premier coup à son prestige de conquérant jusque-là invincible.

Certes oui, ce fut une grande faute, mais faute inévitable, toutefois, que l’impitoyable logique des événements devait irrésistiblement le pousser à commettre.

Nous avons déjà montré, dans le chapitre précédent, que l’erreur décisive fut l’établissement du blocus continental ; une fois celle-là commise, toutes les autres devaient en découler naturellement et entraîner Napoléon à une longue série de campagnes pénibles et néfastes, où allait peu à peu pâlir son étoile.

Mais il se lança dans cette aventure avec une particulière légèreté, négligeant pour la première fois peut-être les plus élémentaires précautions, ignorant tout de ce pays où il s’apprêtait à lancer ses armées. Il ne connaissait ni la topographie du futur théâtre de la guerre, ni surtout les dispositions, les mœurs et le caractère du peuple auquel il allait se heurter. On cite ce mot qui témoigne d’un aveuglement étrange : « Si cela devait me coûter 80 000 hommes, disait-il, je ne le ferais pas, mais cela ne m’en coûtera pas plus de 12 000 ».

Et puis, au lendemain de Tilsitt, Napoléon s’illusionnait complètement, se croyant encore désiré, attendu, appelé par les peuples impatients de s’émanciper. Pourtant une grande clarté s’était faite dans toutes les consciences à ce sujet, et Sainte-Beuve, en quelques mots, a marqué le nouveau sentiment qui venait soudain de grouper les résistances.

« Napoléon représentait, dit-il, la Révolution dans son principe d’égalité