Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre le cocher et le houspilla d’importance, et, parce que le domestique de M. de Larochefoucauld reçut ainsi quelques horions, Napoléon feignit une vive indignation et déclara ne plus vouloir d’ambassadeur de Hollande à Paris : l’amiral Verhuel reçut l’ordre de quitter la capitale dans les vingt-quatre heures.

Maintenant les événements vont se précipiter : un décret du 5 juin mutile de nouveau la Hollande et lui prend les îles Walcheren, Sud-Beveland, Nord-Beveland, Shaaven et Tholen pour former le département des Bouches-de-l’Escaut ; la reine Hortense abandonne son mari et quitte Amsterdam pour venir s’installer à Plombières et, en même temps, les troupes françaises reçoivent l’ordre d’envahir le royaume et de marcher sur Amsterdam. Louis songea d’abord à résister et à organiser dans ses États une défense désespérée : mais, trahi et découragé par ses conseillers, il se résigna à abdiquer, le 1er juillet, en faveur de son fils, qu’il remit, au pavillon royal de Harlem, entre les mains du général Bruno. Deux jours après, il sortit du palais à minuit, sauta dans une voiture et s’enfuit précipitamment jusqu’en Bohême.

Ainsi débarrassé d’un frère détesté, Napoléon ne tint aucun compte des volontés du corps législatif hollandais, qui venait de proclamer roi le fils aîné de Louis, sous le nom de Louis II, et, le 9 juillet, il fit paraître un décret par lequel la Hollande était déclarée réunie à la France.

Quant à son neveu ainsi dépossédé, Napoléon le consola par de publiques embrassades, accompagnées d’un discours étonnant :

« N’oubliez jamais, dit-il au jeune prince, dans quelque position que vous placent ma politique et l’intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont envers moi, vos seconds envers la France ; tous vos autres devoirs, même ceux envers les peuples que je pourrais vous confier ne viennent qu’après ! »

Les devoirs envers les peuples ! Qui donc s’en souciait alors en cette période barbare où les nationalités s’imposaient à coups de canon ?

Soumise au régime napoléonien, la Hollande connut alors ses plus mauvais jours : humiliée dans sa fierté, ruinée par le blocus continental, décimée par la conscription, terrassée par des mesures vexatoires, réduite au silence par une censure tyrannique, elle parut se résigner ; mais la haine emplissait tous les cœurs et n’attendait qu’une occasion de se manifester.

Cette audacieuse spoliation eut, en outre, pour effet d’écarter les dernières sympathies qui restaient encore en Europe à Napoléon, et le czar Alexandre, en particulier, interpréta comme une provocation ces perpétuelles extensions du territoire français. Il y avait déjà longtemps, d’ailleurs, que l’alliance française apparaissait, en Russie, comme une intolérable duperie. Ici encore les résultats du blocus continental n’avaient point tardé à se faire sentir et à transformer en continuels désaccords les cordiales relations nouées à Tilsitt.