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Voilà en quoi il consistait. Moyennant de fortes redevances, il fut permis à des bâtiments, même ennemis, d’importer en France des cotons, des denrées coloniales, des indigos, des cochenilles, etc., etc. Mais afin de masquer sous une apparence d’intérêt national l’illégalité d’un pareil trafic, on imposa à l’armateur, auquel la licence était accordée, l’obligation d’exporter des marchandises françaises pour une somme égale à celle des marchandises anglaises qu’il importait. Ainsi donc, si l’on voulait par exemple faire venir pour 500 000 fr. de cotons des Indes, il fallait commencer par exporter de France une valeur égale de marchandises diverses.

Mais ces marchandises étaient prohibées en Angleterre et aucun port ne s’ouvrait pour les recevoir : comme il était, en outre, impossible de les ramener en France, la nécessité s’imposait à l’armateur de les jeter à la mer.

Pour que l’opération fut rémunératrice, il fallait naturellement alors frauder sur la valeur réelle des produits exportés : pour cela la complicité des agents des douanes chargés de l’expertise était indispensable et la corruption la plus éhontée s’installa dans les mœurs administratives. Et puis se trouva encouragée de la sorte la fabrication d’horribles pacotilles destinées seulement à être jetées par dessus bord. On commença d’abord par consacrer à ce singulier négoce le rebut des manufactures et le lamentable trop-plein des arrières-boutiques : tous les vieux bouquins, les vieux habits brodés, les paperasses et les guenilles de toute nature servirent de cargaisons. Puis, quand les dernières loques furent expédiées et que les hottes des chiffonniers furent vides, il fallut bien fabriquer des objets spécialement affectés à l’usage en question. À Lyon, notamment, on fabriqua en grande quantité des taffetas et des satins destinés à l’Océan.

Est-il besoin d’insister pour faire comprendre l’immoralité désastreuse d’un semblable gaspillage, et les perturbations commerciales et industrielles qui devaient en résulter pour notre pays ?

Mais avant d’envisager plus complètement les conséquences économiques du blocus continental et des mesures douanières, nous voudrions d’abord exposer, le plus brièvement possible, les répercussions politiques, les bouleversements qui allaient en résulter sur tout le continent européen.

Napoléon et l’Angleterre sont aux prises et le monde entier devra prendre parti dans cette terrible querelle. Nul ne devra rester neutre dans ce formidable conflit qui va mettre à feu et à sang les plus puissants empires comme les États les plus inoffensifs. Jamais le règne de la force brutale ne s’était imposé avec plus d’impudence et de cynisme.

C’est l’Angleterre qui, sans attendre que les stipulations arrêtées à la paix de Tilsitt soient en voie d’exécution, commence à mettre la main sur le Danemark dont la neutralité se trouve soudainement violée. Le 8 juillet, avaient été échangées les dernières signatures entre le Czar et Napoléon et il