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à Napoléon au cours d’un voyage qu’il fit dans leur ville et ils obtinrent la loi du 18 mars 1806. Il ne faudrait pas se hâter de voir dans l’institution nouvelle une marque particulière du libéralisme impérial. On retrouve jusque dans leur création cette méfiance que nous avons reconnue être la caractéristique des sentiments que Bonaparte nourrissait à l’égard du prolétariat. Les prud’hommes devaient bien juger les contestations soulevées à l’occasion du travail, ils devaient bien concilier, dans la mesure du possible, les patrons et les ouvriers, ils devaient bien veiller à l’observation des lois et règlements, mais le législateur, inspiré par la bourgeoisie possédante d’une part, dirigé par la volonté du souverain autocrate d’autre part, eut soin d’écarter les ouvriers du nouveau tribunal.

Les prud’hommes, au nombre de neuf, devaient compter cinq fabricants et quatre chefs d’ateliers, c’est-à-dire uniquement des patrons. Les Conseils de prud’hommes, néanmoins, demeuraient un instrument perfectible de justice prolétarienne et c’est pour cela que nous devons considérer comme heureuse, l’initiative de la chambre de Commerce de Lyon[1]. Le Conseil général du Commerce ne laissait pas aussi de travailler utilement à Paris et certains exemples prouvent son activité. C’est ainsi que nous le voyons[2] étudier un vœu de la ville de Valenciennes « pour faire mettre à sa disposition des mécaniques propres à filer le coton, appartenant au gouvernement et qui depuis plusieurs années sont inactives dans la ville de Dunkerque. Elle indique un édifice capable de recevoir le dépôt de mendicité de tout le département, mesure ajoute-t-elle qui fournirait un moyen d’utiliser des bras dans les différentes branches de ses fabriques. » Le rapporteur se montrait favorable à ces vues, mais un membre a fait sentir que ces concessions, en donnant un trop grand avantage aux fabricants qui les auraient obtenues, éteindraient nécessairement l’émulation et décourageraient l’industrie ; que même elles n’atteindraient pas leur but : qu’il fallait vendre et non donner. Le rapporteur demanda alors à présenter un autre rapport. Il le présenta à la séance du 3 thermidor an XI. Il conclut : 1° que l’abandon d’un bâtiment pour les salles de travail des pauvres de Valenciennes est de l’attribution des secours publics et pourra servir à la répression du vagabondage, etc. ; 2° que le premier apprentissage de mains inhabiles et d’êtres fainéants ne peut entrer dans les calculs d’établissements de manufactures nouvelles parce qu’il se lie nécessairement à trop de déchets, pertes de temps, etc. ; 3° que ces ateliers de charité, régis et surveillés avec zèle, n’appartiennent point à la classe des établissements commerciaux dont ils sont même essentiellement séparés ; 4° que la demande de la cession gratuite d’un édifice et de l’abandon, au profit de la ville de Valenciennes, des mécaniques en dépôt à Dunkerque, ne se pré-

  1. Voir Pariset : Histoire de la Fabrique lyonnaise. Des conseils furent établis en 1806 à Clermont de l’Hérault, en 1807 à Nîmes.
  2. Archives nationales, F12*, 192A. 30 messidor XI et 3 thermidor XI.