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d’autoriser l’établissement d’un boulanger, et il fallut, pour pouvoir exercer cette profession, déposer quinze sacs de farine dans les magasins municipaux et en garder à la boulangerie soixante, trente ou quinze. Tout boulanger devait prévenir six mois à l’avance s’il avait l’intention de se retirer du commerce. Le préfet de police désigna vingt-quatre boulangers, qui choisirent quatre syndics chargés des rapports avec la police. Comme on peut le voir, ces mesures étaient rigoureuses et minutieuses[1], mais le public parisien y vit la certitude que le gouvernement se préoccupait de sa subsistance, et ce fut pour lui un sujet de gratitude à l’égard de Bonaparte. En réalité, si Paris manquait de pain, nous savons très bien que cela tenait en grande partie à la guerre, à la nécessité des approvisionnements pour les armées et aux manœuvres des accapareurs qui achetaient en sous main des blés destinés à l’Angleterre. En outre, la dernière récolte n’avait pas, en l’an X, favorisé le bassin parisien de telle sorte que la réglementation des boulangeries ne suffit pas à calmer toutes les inquiétudes. Nous allons donner quelques documents qui indiquent, au point de vue économique et agricole, les raisons de la crise, et indiquent des remèdes intéressants à connaître. D’abord un procès-verbal de la réunion tenue à dix heures du soir, le 6 frimaire an X, par le conseil extraordinaire d’administration de l’intérieur[2] :

« Les ministres de l’intérieur et de la police générale, les conseillers d’État Cretet, Defermon, Rœderer et Réal, et le préfet de police de la commune de Paris sont présents. Ce conseil a pour objet la situation de la République relativement aux subsistances. Le ministre de l’intérieur présente l’état de la récolte et des besoins de quarante-sept départements dont les préfets ont envoyé les renseignements qu’il avait demandés. Il en résulte : 1° que treize départements ont assez de blé pour leur consommation ; que le produit de la récolte dans dix-neuf départements est inférieur aux besoins de la consommation et que dans quinze il excède ces besoins ; 2° que l’excédent des quinze départements étant supérieur au déficit des dix-neuf, la récolte totale, dans les quarante-sept départements dont les renseignements sont parvenus, surpasse les besoins d’environ 1 million de myriagrammes ou 200 000 quintaux ; 3° que presque tous les départements qui offrent de l’excédent appartiennent ou à la Belgique ou aux bords du Rhin ou a l’ouest, et que ceux qui éprouvent un déficit sont pour la plupart ceux dont l’excédent se versait sur Paris. C’est donc des besoins de Paris qu’il convient de s’occuper. Ces besoins peuvent être estimés de 2 à 3 millions de quintaux. On peut tirer : de la Vendée, 500 000 quintaux ; des Deux-Sèvres, 500 000 quintaux de la Dyle, 1000 000 quintaux ; de Jemmapes, 500 000 quintaux ; de la Lys,

  1. « Les 641 boulangers de la ville s’étant soumis à cette loi, le préfet déclara que ceux qui auraient déposé au 1er frimaire les 15 sacs de garantie pourraient seuls exercer, et que les commissaires feraient au moins deux visites par décade chez chaque boulanger pour vérifier l’approvisionnement. » (Levasseur, o. c, I, p. 333.)
  2. Archives nationales AFiv 1058, pièce 13.