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des hommes fanatisés, allait donc disparaître sans avoir pu véritablement servir de base à cette armée d’Angleterre qui devait se changer en armée d’Allemagne ! Le plan maritime de Napoléon n’avait pu s’exécuter, le plan continental de Pitt, au contraire, se réalisait. Mais, dès le mois d’août 1805, Napoléon savait qu’il devait se tenir prêt à lutter contre une coalition et il écrivait de Boulogne même à Talleyrand : « Plus je réfléchis à la situation de l’Europe, plus je vois qu’il est urgent de prendre un parti décisif. Je n’ai, en réalité, rien à attendre de l’explication de l’Autriche. Elle répondra par de belles phrases et gagnera du temps afin que je ne puisse rien faire cet hiver… et en avril je trouverai 100 000 Russes en Pologne, nourris par l’Angleterre, 15 000 ou 20 000 Anglais à Malte et 15 000 Russes à Corfou. Je me trouverai alors dans une situation critique. Mon parti est pris… Je lève mes camps et fais remplacer mes bataillons de guerre par mes 3es bataillons, ce qui m’offre toujours une armée assez redoutable à Boulogne et, au 1er vendémiaire (23 septembre), je me trouve avec 200 000 hommes en Allemagne et 23 000 hommes dans le royaume de Naples. Je marche sur Vienne et ne pose les armes que je n’aie Naples et Venise, et augmenté tellement les États de l’Électeur de Bavière que je n’aie plus rien à craindre de l’Autriche. L’Autriche sera pacifiée certainement de cette manière pendant l’hiver. » Comme on le voit, Napoléon ne fut pas surpris le moins du monde par l’attaque autrichienne, il l’attendait, au contraire, et, le 25 août, il avait même fait partir Murat avec ordre de reconnaître la Souabe, les débouchés sur Ulm, Ingolstadt et Ratisbonne, la Bavière, où de son côté le général Bertrand devait se rendre pour étudier les routes et les places[1].

Pensant à la prochaine guerre continentale, Napoléon put à son tour déjouer les calculs des coalisés, et, par sa surprenante rapidité, bouleverser toutes leurs combinaisons. En quinze jours (9-24 septembre), toute la Grande Armée fut sur le Mein et le Rhin. Comme on avait fait état de toutes les barques en vue du transport possible de milliers d’hommes en Angleterre, de même on réquisitionna tous les moyens de transport pour que sept corps d’armée fussent en bloc transférés de l’Océan au Rhin. Tandis que Mack demeurait à Ulm en attendant les Russes et s’imaginait Napoléon obligé de fractionner ses troupes dans l’Ouest, à Boulogne et à Paris, afin de se garantir également des Anglais et des insurrections, l’empereur postait Bernadotte à Würtzbourg, Marmont à Francfort, Davout à Manheim, Soult à Spire, Lannes et Ney à Carlsruhe, Augereau à Strasbourg. Son plan est de couper à l’Autrichien toute retraite sur la route de Vienne. Conformément à ses ordres, tous les corps d’armée situés à gauche du Danube se rabattent en aval d’Ulm. Les manœuvres sont précises. En quelques jours, Bernadotte et Marmont sont à Munich, Davout et Soult sont à Augsbourg, Lannes et Ney marchent sur

  1. Voir l’ouvrage cité du général Bounal, chapitre intitulé : « La manœuvre d’Ulm ».