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commencer par celui de Napoléon. En principe donc, tous les États européens étaient bien d’accord sur ce point, qu’il fallait élever une barrière devant l’ambition française, et qu’il fallait, pour que l’équilibre fût rétabli, enfermer les Français en France, les ramener aux anciennes limites.

C’est sur cette base que la nouvelle coalition va se faire, et, jusqu’en 1815, c’est à cette fin que va tendre tout l’effort de l’Europe.

Mais si le désir d’arrêter l’ambition de l’empereur était le même partout, il ne pouvait pas s’affirmer également dans chaque État. La Suède fut seule à se joindre à la Russie explicitement, et Gustave IV rompit tous rapports avec Monsieur Napoléon. L’Autriche, travaillée par les Russes et les Anglais, hésita. François II, qui n’était plus empereur d’Allemagne, mais simplement empereur d’Autriche[1], n’était pas encore assez certain du succès d’une coalition nouvelle, et il tremblait trop, dans la crainte de voir encore ses États réduits et le roi de Prusse prendre la tête de l’Allemagne, pour se décider nettement contre la France. Il voulait attendre. Mais Napoléon s’impatientait, menaçait, et c’est à Mayence, où Napoléon tenait alors sa cour (septembre 1804), que la reconnaissance autrichienne parvint à l’empereur. Les craintes de François II du côté de la Prusse étaient assez fondées. Frédéric-Guillaume était l’ami personnel du tzar, mais il craignait tout de Napoléon. Il joua un double jeu extraordinaire, s’engageant secrètement à s’unir à la Russie et à l’Angleterre pour une entente éventuelle contre la France, et, le même jour, donnant à Napoléon sa parole sacrée qu’il ne connaissait aucun projet de coalition destiné à lutter contre la puissance française, qu’il n’entrerait dans aucune alliance faite dans ce but, et reconnaîtrait l’empire si les troupes qui occupaient le Hanovre n’étaient pas augmentées, et si l’effort de la guerre future ne devait pas porter sur l’Allemagne. Napoléon promit, et la Prusse attendit les événements pour savoir de quel côté elle se porterait : ce devait être, bien entendu, du côté du vainqueur.

Ainsi qu’on le voit par ce résumé, il y avait donc à la suite de la proclamation de l’Empire et pendant l’état de guerre déclarée entre la France et l’Angleterre une activité considérable déployée dans toutes les diplomaties européennes. Les amis se cherchent, s’interrogent, les peureux ou les prévoyants se cachent, attendent, mais il est de toute évidence que Napoléon ne se maintient déjà que parce qu’il fait peur et que des forces matérielles et morales considérables s’accumulent autour de lui pour tâcher de l’abattre. Sa personne est tout, ce n’est pas la France qui fait peur. Pitt ne craint plus, comme il y a peu d’années, l’esprit révolutionnaire qui va s’épandant largement sur le monde, secouant les monarchies, affranchissant les esprits, libérant les consciences, portant partout les idées nouvelles de liberté et d’égalité, non, ce qu’il craint, c’est Napoléon dont l’ambition insatiable est à la

  1. 10 août 1804.