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après les victoires de Marengo et de Hohenlinden, étaient rentrés en masse grâce à cette amnistie. L’arrêt de La vente des biens nationaux, les largesses consulaires en faveur de ceux dont les propriétés avaient été vendues, des distributions d’emplois militaires, administratifs, judiciaires et diplomatiques, et la formation aux Tuileries d’une cour sur le modèle de celle des ci-devants rois, semblaient avoir rattaché au chef du nouvel État, de plus en plus monarchique, une très notable partie de l’ancienne noblesse française[1] ». Nous avons dit que le contingent royaliste se retrouve dans le plébiscite pour le Consulat à vie. L’influence de cette rentrée a été considérable. Sous les auspices de Bonaparte, les émigrés, les ennemis jurés de la Révolution et de l’esprit révolutionnaire ne se sont pas républicanisés, si l’on peut s’exprimer ainsi, mais, tout au contraire, ce sont les républicains qui ont dû, pour suivre le désir du premier consul, se royaliser !

Cependant Louis XVIII éprouvait de la politique consulaire un grand dommage. Expulsé de Russie, il résidait à Varsovie, et là il voyait ses partisans se rallier à Bonaparte, l’Église traiter avec lui comme elle aurait fait avec le trône ! Il s’intitulait toujours roi de France. Le premier consul jugea l’instant venu de lui faire des propositions décisives, et c’est par la Prusse qu’il les lui fit parvenir. Talleyrand eut, le 7 janvier 1803, une conversation avec Lucchesini, ministre de Prusse à Paris, et la lettre de ce dernier à son ministre, Haugwitz, nous met au courant de ce qui fut dit[2]. « Calmer les consciences timorées de plusieurs catholiques inquiets ; mettre d’accord ce que quelques émigrés croient devoir encore à leurs serments et à leur honneur avec le désir qu’ont presque tous de revoir leur patrie ; ôter enfin aux malveillants le prétexte et, à la puissance rivale de la France, les instruments des troubles futurs : voilà les buts salutaires et louables que le premier consul voudrait atteindre. Un sentiment mêlé de compassion et d’égard pour les malheurs des princes de la maison de Bourbon, réuni à celui de la dignité d’un grand peuple longtemps gouverné par elle, a inspiré au premier consul la noble intention de pourvoir à son entretien ». Bonaparte offrait donc de passer un traité avec les Bourbons, traité qui fixerait le payement de sommes considérables devant permettre aux membres de cette famille de vivre « avec la dignité convenable à leur nom », sans être réduits « au rôle humiliant de se laisser aumôner par les puissances de l’Europe ». Les Bourbons devraient alors aller « plus loin que Varsovie, à Moscou, par exemple ». Ils devaient surtout promettre la « renonciation libre, entière, absolue, au trône de France et aux charges, dignités, domaines et apanages des princes de cette maison… vu le tort irréparable qu’une conduite peu digne des successeurs de Henri IV leur avait fait dans l’esprit d’une nation fière et belliqueuse, et la répugnance

  1. Chassin, Pacifications de l’Ouest, III, 737.
  2. Revue La Révolution française, 14 juin 1895,p.361-363. Extraite de l’ouvrage du Dr Bailleu : Historische Zeitschrift, t. 38.