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anti-anglaises, ranimé toutes les haines afin d’apparaître de plus en plus comme le seul sauveur, comme la personnification réelle de la France outragée, menacée, mais invincible. Le bonapartisme devient le patriotisme. Et dans la proclamation de l’Empire il faut voir un résultat de cette exaltation. Il y a eu encore des attentats contre le consul, et ces attentats viennent de l’Angleterre ; il faut donc donner à Bonaparte tout ce qu’il croit nécessaire de demander pour la gloire du pays, pour l’écrasement des ennemis. Il demande l’Empire. On l’acclame empereur.

CHAPITRE II

LE TRÔNE IMPÉRIAL

Nous avons vu Bonaparte s’isoler de plus en plus à la tête de la nation, frapper autour de lui tout ce qui vivait encore, tout ce qu’un souffle d’indépendance animait. Il plane au-dessus de l’inertie. Il agit et on obéit, il commande et on se soumet. Le mécanisme politique qui faisait fonctionner, auprès des consuls, le Tribunat, le Corps législatif n’avait pas sa force première dans le pays électoral, mais du moins il s’était trouvé que le personnel qui formait ces corps comprenait des hommes capables de discuter et de critiquer. Le premier consul avait fait en sorte de les éliminer. Il frappe aussi autour de lui, il veut niveler l’opinion. Fouché, coupable d’avoir des sympathies républicaines, voit supprimer le ministère de la police. Bonaparte oublie que Fouché a été souvent son complice, qu’il l’a sciemment aidé dans des œuvres mauvaises pour la liberté. Il veut seulement se souvenir que le ministre de la police a tenté de s’opposer à l’établissement du Consulat à vie. Il le frappe donc, avec ménagement d’ailleurs, car Fouché est un homme dont on peut toujours avoir besoin. Il lui fait sentir que, s’il le remercie de ses services, c’est que Lucien et Joseph Bonaparte l’ont demandé, exigé presque. Du reste, Fouché est nommé sénateur et, peu après, il reçoit la sénatorerie d’Aix qui lui rapporte beaucoup d’argent et beaucoup d’honneurs. En même temps que Fouché, Mme de Staël est atteinte. On parlait trop de la liberté dans son salon. Elle fut invitée à passer la frontière, à s’exiler. Benjamin Constant devait suivre. Tout le monde doit se taire ou ne parler que pour dire la louange du premier consul. La police veille partout, recueille les propos, les rapporte, les enfle. C’est le régime d’oppression absolue qui apparaît. C’est à peine si la nation respire sous la botte du maître qui l’écrase, C’est le temps où l’on commence à organiser les levées d’hommes, c’est le moment où la France se prépare en silence à donner du sang pour la gloire de Bonaparte. Plus rien, plus d’opposition bruyante dans la rue ou dans les camps. Le Corps législatif, le Tribunat, le Sénat travaillent sans