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bien inutile. La République portait en elle une force d’expansion prodigieuse qui tenait originairement non point à la violence de ses armées, mais à la propagation de ses idées qui réveillaient parmi les autres peuples des énergies insoupçonnées pour la libération et l’émancipation. Quant à la politique de conquête, elle n’a été introduite dans la République que par la nécessité de la défense territoriale d’abord et l’intérêt des gouvernants ensuite. Bonaparte, qui la personnifie mieux que tout autre, n’aurait pu proclamer le besoin d’extension que pour couvrir son besoin personnel de domination extravagante. Il ne faudrait pas qu’on pût supposer qu’il n’a fait la guerre que parce que la République était « condamnée à étendre toujours sa domination ». Il a fait la guerre, parce que c’était chez lui un funeste instinct, parce qu’il n’estimait rien au-dessus, et la meilleure preuve en est que, pour instaurer le gouvernement qu’il rêvait, le gouvernement dont la raison d’être tout entière, c’était la guerre, dont le ressort, c’était encore et toujours la guerre, il a renversé la République pour créer l’Empire.

Les conférences pour la paix définitive s’ouvrirent à Amiens le 5 décembre 1801 entre Joseph, le négociateur ou plus exactement le « signataire » habituel du Consulat, et lord Cornwallis. Derrière Joseph, Talleyrand et Bonaparte manœuvraient. Les instructions du plénipotentiaire français portaient que les questions à régler avec l’Angleterre étaient essentiellement les questions maritimes, coloniales. Talleyrand écrit, le 20 décembre, à Joseph : « Vous regarderez comme positif que le gouvernement ne veut entendre parler ni du roi de Sardaigne, ni du stathouder, ni de ce qui concerne les affaires intérieures de la Batavie, celles de l’Allemagne, de l’Helvétie et des républiques d’Italie. Tous ces objets sont absolument étrangers à nos discussions avec l’Angleterre ». Pendant cinq mois, les discussions se déroulèrent et la paix tant vantée, tant souhaitée se vit compromise par les actes du premier consul. Déjà, avant l’arrivée de Cornwallis, il avait renversé la constitution de la République batave et lui en avait donné une autre qui annihilait absolument toute liberté, remettait le pouvoir à un président élu pour trois mois, assisté d’un corps législatif dont trente-cinq membres étaient nommés par le gouvernement et renouvelés par tiers par les électeurs. Ce corps législatif ne pouvait voter que par oui et par non. Les deux chambres existantes refusèrent la constitution nouvelle. Augereau les chassa et organisa le plébiscite. La masse immense de la nation s’étant abstenue, on décida qu’abstention signifiait approbation et la nouvelle constitution fut promulguée le 6 octobre. Non content d’intervenir en Hollande et, comme nous allons le voir, en Italie, le premier consul décidait d’organiser une expédition à Saint-Domingue et, dans ce but, il constituait une armée de 35 000 hommes confiée au général Leclerc. Dans sa pensée, cette île reconquise devait être une compensation à la perte de l’Égypte, un débouché nouveau pour le commerce et l’industrie, en même temps qu’une station sur le chemin de la