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et du gouvernement militaire de Pétersbourg, le comte Pahlen, elle fut poursuivie après l’exil de Panine par Pahlen seul, qui sut gagner l’impératrice et le tsarévitch Alexandre, en les persuadant que Paul Ier devait jeter les siens en prison pour adopter son jeune neveu Eugène de Wurtemberg, enfant de neuf ans, général-major de l’armée russe. Le « coup » fut fait dans la nuit du 23 au 24 mars par des officiers commandés par l’Allemand Bennigsen, récemment exilé… Peu après, Pahlen se rendait auprès du grand-duc Alexandre atterré et en pleurs et, s’agenouillant devant lui : « Je vous salue, mon maître, dit-il, l’empereur Paul est mort d’apoplexie. »

Bonaparte, à la nouvelle de la mort de son « allié », se laissa gagner par le désespoir. Persuadé que le coup était parti de l’Angleterre, il dicta, pour le Moniteur, cette note où un autre danger est indiqué : « Paul Ier est mort dans la nuit du 24 au 25 (lire du 23 au 24) ; l’escadre anglaise a passé, le Sund le 31. L’histoire nous apprendra les rapports entre ces deux événements ». Ce passage du Sund constituait en soi une menace ; les Anglais ne s’en tinrent pas là. Ils sommèrent le Danemark de rouvrir ses ports au commerce de l’Angleterre et, sur un refus, l’amiral Parker, sous qui commandait Nelson, se rendit devant Copenhague. Le port n’était accessible que par une seule passe, la Passe Royale. Nelson, avec dix vaisseaux, s’y engagea avec fureur, luttant contre les batteries qui l’entouraient avec une audace extraordinaire (2 avril 1801). En peu de temps, deux de ses navires furent perdus, et Parker ordonnait de cesser le feu. Mais Nelson, sans vouloir s’apercevoir des ordres de son chef, s’obstina au combat, fit taire les batteries ennemies et, rédigeant une proclamation, déclara à ses « frères danois » que, s’ils ne se rendaient pas, il serait obligé de brûler leur ville. Un armistice fut signé.

Le résultat de ces événements ne tarda pas à se manifester : la Prusse s’arrête dans sa prise de possession du Hanovre, l’Autriche essaye de tourner le traité de Lunéville en demandant encore la Toscane, Kolytchef pousse à la rupture avec la France, tandis qu’à Saint-Pétersbourg on « redevient anglais ».

Alexandre Ier avait demandé et obtenu le retrait de la flotte de Nelson. En réponse, il s’empressa de lever l’embargo mis sur les navires anglais, puis reconnut aux Anglais le droit de visite sur les navires commerçants battant pavillon russe. La Suède et le Danemark suivent la Russie (accord du 17 juin 1801). La Prusse, à son tour, est invitée à entrer dans la convention nouvelle (24 juin 1801). La ligue des neutres n’existait plus : elle était retournée.

Dans ces conditions et au milieu de tant d’événements contraires, Bonaparte demande à l’Angleterre de faire la paix. Mais, par un raisonnement qui lui paraît juste, le gouvernement anglais suppose que le premier consul est aux abois. Les Anglais, au contraire, reçoivent précisément alors d’excellentes nouvelles d’Égypte ; c’est l’instant de l’attaque décisive, Menou va succomber.