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lard, t. Ier, p. 422), on supportait que de jeunes bourgeois qui auraient dû être aux armées restassent à Paris où, mêlés avec nombre de prêtres et de nobles sortis des prisons (rapports de police du Ier et du 25 pluviôse-20 janvier et 13 février), ils entretenaient le désordre. Certains émigrés rentraient à la faveur de la loi du 22 nivôse an III (11 janvier 1795), d’après laquelle « ne seront pas réputés émigrés les ouvriers et laboureurs ». Sans doute, la loi ne paraissait concerner que ceux qui n’étaient pas « ex-nobles ou prêtres » ; mais, grâce à la complicité des administrations remaniées, il fut aisé, je l’établirai plus tard (chap. xv), d’obtenir des certificats tournant l’obstacle. Cela devint encore plus facile après les lois du 22 germinal (11 avril) et 22 prairial an III (10 juin 1795), réintégrant dans tous leurs droits ceux qui, après le 31 mai 1793, avaient été frappés ou avaient fui comme partisans des Girondins.

À la suite d’un rapport de Boissy d’Anglas, la Convention avait, le 3 ventôse (21 février), voté une loi sur la liberté des cultes. Cette loi — que, même amendée comme elle le fut bientôt sous le rapport des édifices, n’oseraient pas voter les progressistes d’aujourd’hui, bien qu’un de leurs principaux chefs, M. Ribot, prétende toujours (séance de la Chambre du 4 juillet 1902, p. 2123 du Journal officiel) s’inspirer « véritablement de l’esprit de la Révolution française »… dénaturé et non revivifié — sans être parfaite, était une amélioration. L’État, ainsi que cela avait été déjà décidé le 2me jour sans-culottide an II (18 septembre 1794), ne salariait aucun culte ; tous étaient libres dans l’intérieur de leurs locaux. Mais l’Église ne se juge libre que lorsqu’elle est souveraine maîtresse ; la liberté telle qu’elle l’entend, c’est la liberté pour elle d’exercer des privilèges. Et, à peine le nouveau régime en vigueur, le prêtre qui, depuis le commencement de la réaction politique, avait déjà plus ou moins ouvertement relevé la tête, chercha à dominer : le 15 germinal (4 avril), de nombreux boutiquiers trouvaient dans leur serrure un billet portant que ceux qui ouvriraient le lendemain, jour de Pâques, seraient considérés comme Jacobins (rapport de police du 16 germinal-5 avril) ; on savait ce que cela signifiait. Les manœuvres de ce genre abondaient ; entre temps, on se moquait de ce qu’on appelait la « philosophie tricolore », c’est-à-dire de l’esprit laïque (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 542).

Évidemment la Constitution de 1793 ne pouvait être du goût de cette tourbe dont le but apparut si clair que Laurent Le Cointre, inquiet, demanda, le 29 ventôse (19 mars), à la Convention l’abolition du gouvernement révolutionnaire et l’application immédiate de la Constitution de 1793. La Convention ne songeant qu’à éluder celle-ci, sans oser encore avouer son dessein, — le rapport de police du 30 pluviôse (18 février) disait déjà : « Dans les cafés, l’on s’entretenait du projet de quelques députés qui voulaient que l’on touchât à la Constitution de 1793 » — prit en germinal diverses décisions qui aboutirent, le 29 (18 avril), à la résolution de nommer une commission chargée