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vivre. Voici, puisé dans le remarquable recueil documentaire de M. Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, que j’ai si souvent cité (t. V, p. 271) l’extrait d’un rapport adressé au ministre de l’Intérieur sur la situation du département de la Seine en frimaire an VII (novembre-décembre 1798) : « Une grande partie de la population de Paris se compose d’individus qui ont autrefois placé leurs fonds sur l’État, c’est-à-dire des rentiers. Ces gens, qui sont ruinés, qui n’ont pas reçu une éducation assez industrieuse pour pouvoir aujourd’hui exercer aucun métier, ni assez libérale pour être sensibles aux droits que la Révolution leur a restitués, forment un foyer de mécontentement dont l’influence s’étend dans toutes les familles et fait une foule d’ennemis à la République. Qu’on paye les rentiers ».

Les ouvriers, eux, se heurtaient toujours au même parti pris (chap. iii, xiii et xvii §§ 1 et 2), ainsi que le prouve le compte rendu des opérations du Bureau central du canton de Paris, du 1er au 10 brumaire an VII (22 au 31 octobre 1798) : « Informé que les ouvriers travaillant ordinairement sur le port de la Rapée se proposaient d’empêcher, le 1er brumaire, leurs camarades ou d’autres ouvriers de travailler sur ce port pour un prix inférieur à celui qu’ils se proposaient de demander, voulant que leur main-d’œuvre fût augmentée, le Bureau central a fait part au commandant de la place et l’a invité à envoyer le dit jour, 1er brumaire, dès cinq heures du matin, un fort détachement de cavalerie du côté de la barrière (Idem, p. 188). Ayant appris, nous dit le rapport du 9 prairial an VII (28 mai 1799), que des ouvriers « doivent se coaliser pour exiger un salaire plus fort que celui qui leur est offert », le Bureau central chargeait le commissaire de police de faire connaître nominativement ceux des ouvriers qui exciteraient les autres à une coupable insubordination » (Idem, p. 538). Malgré cela et malgré un chômage assez dur, les ouvriers, qui n’avaient plus à voler, ne sortirent pas de leur apathie au point de vue politique. Dans le rapport au ministre de l’Intérieur de nivôse an VII (décembre 1798-janvier 1799), on lit (Idem, p. 324) : « Le commerce, les arts, l’industrie souffrent ». D’après le rapport de pluviôse (janvier-février) la classe ouvrière, en général, est paisible ; malgré la dureté de la saison, le manque d’ouvrage, il ne s’est rien passé parmi elle qui ait pu alarmer la tranquillité publique » (Idem, p. 387).

Le Directoire était loin d’avoir la force qu’il possédait l’année précédente ; il ne tenait plus le Corps législatif, malgré l’épuration de floréal an VI, aussi redoutait-il davantage les effets d’un mécontentement dont il avait parfaitement conscience. Pour échapper au danger qui le menaçait, il songea à atténuer non les motifs de ce mécontentement, mais la sincérité des élections qui devaient en être la conséquence et qui portaient sur 315 sièges, dont 105 au Conseil des Anciens et 210 au Conseil des Cinq-Cents. Ce ne fut pas dans un changement de politique qu’il chercha le moyen d’enrayer l’hostilité constatée ; il ne tenta aucune réforme administrative et compta sur ce qui lui restait