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puissances et pour consolider la paix : les ministres de Russie, de Portugal et d’Angleterre à Turin demandèrent leurs passeports ; et si le roi avait cru désarmer ainsi ses vainqueurs, il dut s’apercevoir bientôt qu’il s’était trompé. Les incidents fâcheux s’étaient multipliés de telle sorte que, lors de l’attaque du roi de Naples, on put craindre de voir Charles-Emmanuel IV imiter son exemple ; aussi profita-t-on de l’occasion pour se défaire de lui.

On n’avait pas de prétexte, on en créa un : on imagina de lui adresser de nouvelles demandes de nature, dans l’esprit du général Joubert, à provoquer un refus ou, tout au moins, une hésitation dont il ne manquerait pas de profiter. En conséquence, le 9 frimaire (29 novembre), on lui réclama d’approvisionner les places pour quatre mois, de fournir sur-le-champ le contingent de 9 000 hommes prévu par le traité du 16 germinal an V (5 avril 1797 (chap. xvi, § 2), et de laisser prendre les armes de l’arsenal de Turin ; cette dernière demande avait été ajoutée de son autorité privée par Joubert (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, février 1902, p. 324). Le roi accéda aux deux premières demandes, sous réserve du plus bref délai possible, il répondit négativement à la troisième. Aussitôt, le coup prémédité entrait dans la phase d’exécution. Joubert qui, depuis le 11 brumaire (1er novembre), commandait l’armée d’Italie, à la tête de laquelle il avait succédé à Brune — on le verra plus loin — donnait, le 13 frimaire (3 décembre), les derniers ordres et, le 16 (6 décembre), grâce à un subterfuge, les soldats français occupaient Chivasso, Alexandrie, Goni, Suse, Novare. Turin, dont on tenait la citadelle, se trouvait en quelque sorte cerné ; toute résistance était impossible : le 18 frimaire an VII (8 décembre 1798), le roi signait une renonciation à ses droits sur le Piémont, et partait dans la nuit du 9 au 10 décembre. Le jour même du départ, Joubert, démissionnaire, confiait le commandement de l’armée à Moreau (19 frimaire-9 décembre).

Après être resté quelque temps dans le grand-duché de Toscane, le roi s’embarqua à Livourne, le 14 février 1799, pour la Sardaigne. Un gouvernement provisoire fut constitué qui, entrant dans les vues du Directoire, prononça l’annexion — ratifiée ensuite par un vote — du Piémont à la France et cessa ses fonctions le 21 germinal (10 avril). Or, dans son message du 23 frimaire (13 décembre) au Corps législatif, aussi long que celui du 16 (6 décembre) était bref, le Directoire, tout en s’efforçant de dresser un acte d’accusation catégorique aussi bien contre le roi de Sardaigne que contre le roi de Naples, affirmait en terminant qu’« aucune vue ambitieuse ne se mêlera à la pureté des motifs qui lui ont fait reprendre les armes ».

Le Piémont n’avait pas été le seul pays d’Italie en butte à la politique hypocrite d’empiétements et d’exploitation.

Dans la République cisalpine on n’était pas plus favorisé. Le traité du 3 ventôse an VI-21 février 1798 (chap. xvi, § 2) par lequel, suivant l’expression de Talleyrand (Pallain, Le ministère de Talleyrand sous le Directoire,