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Toussaint qui, fatigué de sa présence, allait, après la ruse, employer la force, lorsque Sonthonax s’en alla secrètement le 7 fructidor an V (24 août 1797). À cette date, les Anglais ne tenaient plus dans l’île que Port-au-Prince, le Môle Saint-Nicolas et deux ou trois autres points sans grande importance ; la colonie était entre les mains de deux véritables proconsuls, le nègre Toussaint dans le nord et l’ouest, le mulâtre Rigaud dans le sud. Le Directoire approuva en apparence la conduite de Toussaint ; mais, se méfiant de ses intentions, il envoya le général Hédouville qui, parti de Brest le 30 pluviôse an VI (18 février 1798), arriva dans l’île le 18 germinal (7 avril). Toussaint affecta de traiter sans lui avec les Anglais qui signèrent, le 15 mai, la capitulation de Port-au-Prince et, le 31 août, une convention secrète en vertu de laquelle les quelques points encore occupés par eux et, en dernier lieu, le Môle Saint-Nicolas (1er octobre), furent évacués : il ne restait plus de soldats anglais à Saint-Domingue. Les dissentiments allèrent croissant entre Toussaint et Hédouville ; dans la nuit du 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), le chef nègre, à la tête d’une douzaine de mille hommes, cernait inopinément la ville du Cap et s’emparait des forts. N’ayant pas assez de troupes à sa disposition, impuissant, Hédouville se rendit avec sa suite à bord des frégates et fit voile pour la France (1er brumaire-22 octobre) ; il entra en rade de Lorient le 27 frimaire (17 décembre 1798). Toussaint écoutait trop les prêtres : quelques jours avant cette algarade, le 19 vendémiaire (10 octobre), une de ses proclamations portait que « les chefs de corps sont chargés de faire dire aux troupes la prière, le matin ou le soir, selon que le service le permettra » (Moniteur du 7 nivôse an VII-27 décembre 1798). Le commissaire français Roume était resté dans la colonie, où il subissait l’influence de Toussaint, qu’il appelait dans un discours, le 16 pluviôse an VII (4 février 1799), le « vertueux général en chef Toussaint Louverture » (Moniteur du 25 prairial-13 juin), et qui devenait de plus en plus le maître, tout en écrivant, le 25 floréal (14 mai 1799), à son aide de camp à Paris, le citoyen Case (Moniteur du 25 thermidor-12 août), que c’était le calomnier que de lui supposer « le projet insensé d’indépendance » et qu’« un jour on reconnaîtra que la République n’a pas de plus zélé défenseur que lui ».

Le jour même de son départ, Hédouville avait écrit à Rigaud pour le dégager de toute obéissance à l’égard de Toussaint ; il eut par là une grande part de responsabilité dans la guerre qui ne tarda pas à éclater entre les deux chefs, après la publication de cette lettre par Rigaud le 15 juin 1799. D’atroces hostilités durèrent jusqu’au départ pour Paris, le 29 juillet 1800, de Rigaud vaincu.

§ 3. — Sur le continent. Premiers conflits.

Sur terre les choses n’allaient pas mieux que sur mer. Ce fut la cour de Naples qui recommença les hostilités ; elle s’était préparée en conséquence bien avant le désastre d’Aboukir : le 19 mai 1798, elle avait conclu avec l’Au-