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grand regret, l’Égypte. L’intérêt de la patrie, sa gloire, l’obéissance, les événements extraordinaires qui viennent de s’y passer, me décident seuls ». (Correspondance de Napoléon Ier, t. V, p. 738). Que signifierait ce mot « obéissance », si Bonaparte n’avait rien reçu en dehors des journaux de Sidney Smith ? Ce mot à lui seul me paraît prouver que Bonaparte eut connaissance, directement ou indirectement, par le San Nicolo ou par une autre voie, de la décision du Directoire de le rappeler en France, décision formulée par celui-ci dans une lettre du 7 prairial an VII (26 mai 1799) adressée à Bruix, et dont nous savons aujourd’hui que les frères de Bonaparte eurent vent à la fin de mai (Boulay de la Meurthe, p. 128). Ce qui confirme l’opinion que Bonaparte fut, avant son départ, particulièrement renseigné sur les affaires de France, c’est le mot dit par lui, en 1803, à Mme de Rémusat et rapporté par celle-ci dans ses Mémoires (t. I, p. 274) : « Je reçus des lettres de France ; je vis qu’il n’y avait pas un instant à perdre ». Et dans quel état laissait-il l’Égypte, c’est ce que va nous apprendre le rapport de Kleber adressé le 4 vendémiaire an VIII (26 septembre 1799) au Directoire, mais malheureusement saisi par les Anglais qui le gardèrent pendant quatre mois, afin de ne pas nuire à Bonaparte, parce qu’ils pensaient qu’il allait rétablir les Bourbons. Déçus dans cet espoir, ils livrèrent le rapport ; c’était alors trop tard pour qu’il eût un effet utile. L’armée, écrivait Kleber, « est réduite de moitié… Le dénûment d’armes, de poudre de guerre, de fer coulé et de plomb présente un tableau aussi alarmant… Les troupes sont nues… Bonaparte, à son départ, n’a pas laissé un sou en caisse, ni aucun objet équivalent. Il a laissé, au contraire, un arriéré de près de douze millions » (Mémoires de Bourrienne, édition D. Lacroix, t. II, p. 210).

§ 2. — Sur mer.

Nous avons dit (chap. xvi § 1er) que les Anglais réprimèrent avec cruauté les velléités d’indépendance de l’Irlande. Aussi une nouvelle insurrection fut complotée et on comptait sur le Directoire pour la soutenir ; mais ce fut après que Bonaparte eût fait renoncer à la descente projetée en Angleterre, au moment où la désorganisation de l’armée et de la flotte par l’expédition d’Égypte et le manque de fonds rendaient plus difficiles les préparatifs de la France, que la révolte provoquée, peut-on dire, par des rigueurs systématiques, éclata en Irlande (23 mai) sans cohésion suffisante ; elle y était facilement étouffée et les dernières bandes insurgées étaient anéanties le 14 juillet 1798. Pour répondre à l’appel, daté du 16 juin (Desbrière, Projets et tentatives de débarquement aux Îles britanniques, t. II, p. 40), des Irlandais insurgés, le Directoire se décida à organiser de petites expéditions à Brest, Rochefort, Dunkerque et au Texel. La première expédition prête, celle de Rochefort, ne partit que le 19 thermidor (6 août) avec 1 019 soldats montés sur trois frégates et commandés par le général Humbert. Cette poignée d’hommes débar-