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demander aide et assistance : puissants ou croyant le redevenir, les Jacobins amoindrirent l’influence des sections, ils brisèrent le parti de l’élection, le parti de la Commune de Chaumette ; les sections, en revanche, restèrent sourdes à leur appel quand ils furent en danger et, écrasées par eux, elles les laissèrent écraser sans broncher. Ainsi que pour Robespierre, une animosité très justifiée, mais trop exclusive, masqua l’intérêt général qui leur commandait d’intervenir contre l’ennemi commun. Le jour même, des mesures de rigueur furent prises. Contre les agresseurs ? Non, contre leurs victimes résignées : par arrêté des quatre comités, militaire, de salut public, de sûreté générale et de législation, les séances des Jacobins étaient suspendues, la salle fermée et les clefs déposées au secrétariat du comité de sûreté générale. Le 22 brumaire (12 novembre), Laignelot communiquait cet arrêté à la Convention qui le ratifiait ; sept mois après (prairial an III-juin 1795), la salle était démolie. Racontant sa fermeture dans une brochure intitulée Les battus payent l’amende, Babeuf, malgré l’antijacobinisme suraigu dont il était atteint à cette époque, écrivait : « Je ne trouve pas, avec tout le monde, purement plaisante cette histoire des Jacobins. Elle ne l’est que quant aux individus ; mais elle est peut-être alarmante quant aux principes » (p. 3).

La joie fut grande parmi tous ceux qui aspiraient pour des motifs divers à une réaction, les furieux de modérantisme triomphèrent. Le mouvement rétrograde se faisait partout sentir, même dans les futilités : on ne voulait plus de bijoux portant les emblèmes de la liberté, dans les théâtres on n’applaudissait plus les mêmes passages (rapport de police du 25 fructidor-11 septembre). On ne s’avouait pas, peut-être même aucun des inspirateurs de ce mouvement n’était encore royaliste, mais on faisait tout ce qu’il fallait pour ressusciter le royalisme et le propager. On traitait de Jacobins les plus fermes défenseurs de la République, et il suffisait d’avoir l’air jacobin, c’est-à-dire de n’avoir pas les cheveux poudrés, pour être insulté et frappé (rapport du 23 brumaire-13 novembre). Pendant que travaillait de la sorte et reprenait le haut du pavé cette espèce de gens qui, depuis cette époque, tiennent à s’appeler les « honnêtes gens » (Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne, t. Ier, p. 282) afin qu’il n’y ait pas divorce absolu entre l’honnêteté et leurs personnes, leur habituelle action moralisatrice florissait : on vit apparaître les petites annonces pornographiques (Id., p. 504) et, dans les rapports de police provenant alors, non de mouchards provocateurs, mais d’informateurs consciencieux, on trouve signalée avec insistance la recrudescence inquiétante de la prostitution, des vols et des assassinats (Id., p. 20, 53, 151, 288 et 289).

Le 1er brumaire (22 octobre), la Convention n’avait pas osé rendre leur mandat aux Girondins mis en arrestation pour avoir protesté, les 6 et 19 juin, contre les journées du 31 mai et du 2 juin 1793. Les protestataires, tels qu’ils furent mentionnés à la Convention, étaient au nombre de 75, on les nommait