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muscadins, suivant le mot de l’époque, se reconnaissaient à leurs cheveux tressés et poudrés et au gourdin plombé dont ils étaient armés. À leur tête étaient les nommés Méchin et Julian, le premier, devait devenir préfet de Bonaparte, et le second mouchard de la Restauration (Choudieu, Mémoires et Notes, p. 294 et 303), après avoir été agent secret de Fouché sous l’Empire. Dès vendémiaire (septembre), ils avaient provoqué au Palais-Royal des rixes fréquentes en huant les Jacobins. Quand ils les virent désavoués par la Convention, ils purent sans péril redoubler d’audace. À la suite d’excitations dont le prétexte fut un discours prononcé aux Jacobins, le 13 brumaire (3 novembre), par Billaud-Varenne qui, après avoir dit à propos des dénonciations contre Carrier : « Aujourd’hui les patriotes sont attaqués de nouveau parce que l’on veut reviser la Révolution tout entière ;…ce n’est point à quelques individus qu’on en veut, c’est à la Convention », fit entendre des menaces : « Le lion n’est pas mort quand il sommeille, et à son réveil il extermine tous ses ennemis », une bande formée au Palais-Royal, et en majorité composée de jeunes gens au-dessous de vingt ans et de femmes publiques (rapport de police du 22 brumaire-12 novembre), se rendit, le 19 brumaire (9 novembre), à la salle des Jacobins située sur l’emplacement actuel du marché Saint-Honoré, cassa les vitres à coups de pierres, s’en prit surtout aux femmes qui se trouvaient dans la salle, à celles qu’on appelait les Jacobines, les outrageant, les souffletant, les fouettant (recueil d’Aulard, t. 1er, p. 230, 236, 415) en ajoutant (voir le rapport de police du 3 pluviôse-22 janvier, Idem, p. 411) l’obscénité à la brutalité la plus odieuse.

Le lendemain, des représentants, et notamment Du Roy, un bon Montagnard nullement inféodé aux Jacobins, se plaignirent à la Convention de la non intervention des autorités contre les muscadins. Or, l’abstention de celles-ci avait été voulue : « Ils n’ont que ce qu’ils méritent », répondit Reubell, le président des comités. Qu’il n’aimât pas les Jacobins, c’était son droit ; mais c’est toujours une faute de contribuer à la défaite d’une fraction de son parti au profit d’adversaires politiques. Je sais bien qu’on se flatte régulièrement d’empêcher ces derniers de profiter de leur succès. Cela, c’est l’intention, elle sert à couvrir la satisfaction de rancunes particulières, et voilà tout ; le fait est qu’on a affaire après à des adversaires un peu plus forts qu’avant, ce qui ne saurait être un bénéfice.

Se sentant soutenus, les muscadins recommencèrent sans tarder, le 21 (11 novembre), les scènes scandaleuses de l’avant-veille. Plus énergiques — ce qui n’est pas rare chez celles qui ne sont pas des poupées criardes et sans cervelle — que les hommes, les femmes étaient, malgré tout, revenues aussi nombreuses ; parmi les habitués du club, au contraire, il y avait des vides. De ceux qui étaient là, une infime minorité seule était décidée à se défendre elle-même ; la plupart ne songeaient qu’à discourir et, pour leur défense, comptaient sur les sections populaires auxquelles ils avaient fait