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Ce qui nuisit le plus aux Conseils dans l’esprit public, ce fut la loi du 20 thermidor an VI (16 août 1798), par laquelle leurs membres s’attribuèrent un supplément mensuel d’indemnité de 330 francs ; leur traitement se trouvait ainsi porté à un peu plus de mille francs par mois. Cette façon de faire des économies au moment où ils criaient contre les dilapidations et où les difficultés financières étaient grandes, provoqua très justement de vives critiques (voir le début du chap. vii).

CHAPITRE XVIII

SPÉCULATEURS ET DILAPIDATEURS.

(an IV à prairial an VII — 1796 à mai 1799).

Je vais essayer dans ce chapitre de donner une idée de ce que firent les brasseurs d’affaires sous le Directoire. Après avoir montré les exploiteurs du pays favorisés par les pouvoirs publics, j’examinerai comment furent tenues par ceux-ci les promesses faites aux défenseurs de la patrie. Le capitaliste se révélait déjà tel que nous le connaissons : « il n’a point de patrie », disait Mercier dans le chapitre clxiii de son Nouveau Paris (1re éd., t. III, p. 226). C’était vrai surtout pour ceux qui, sous prétexte d’approvisionner les armées, ne se préoccupaient que de s’enrichir. « On trouve parmi eux, d’après Mercier (chap. clx), des hommes de chicane, d’anciens procureurs, des juifs, des laquais et autres gens de cette farine, qui ayant su prévoir de loin le discrédit du papier-monnaie, l’ont reçu de toutes mains dans la vigueur de sa jeunesse ; puis, avec ce papier-monnaie ont accaparé toutes les marchandises ; puis, par le jeu savant de la hausse et de la baisse, ont fait la rafle des écus et des louis ; puis, fiers de leurs nouvelles richesses, ont formé des associations, se sont présentés par devant les ministres et leur ont proposé l’entreprise du service des différentes armées de la République. Ils n’ont pas eu de peine à se procurer des marchés en y intéressant certains députés, certains chefs de bureau à langue dorée ».

Ces gens-là trompaient impudemment, et sur la quantité, et sur la qualité des marchandises. Ils livraient aux soldats, ajoutait Mercier (Idem) « des souliers dont les semelles étaient faites de carton ». « En général, on évalue la quantité des denrées qui se consomment dans les magasins, à la moitié seulement de celles que paye la République », écrivait Reboul, en l’an IV (1796) dans un mémoire au Directoire cité par M. Gachot (La première campagne d’Italie, 1795 à 1798, p. 49). Le 8 prairial an IV (27 mai 1796). Haussmann, commissaire du gouvernement près de l’armée de Rhin-et-Moselle, signalait au Directoire un fournisseur « qui venait de recevoir 400 000 francs en or pour des grains qu’il livrait à 24 francs le quintal [de cent