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parte et son remplaçant officiel par intérim, Desaix, avaient, le 5 germinal (25 mars), comme successeur, à la tête des troupes de l’Ouest baptisées « armée d’Angleterre », le général Kilmaine. Si Bonaparte était, par arrêté du 11 germinal an VI (31 mars 1798), chargé de se rendre à Brest pour prendre le commandement de l’armée d’Angleterre, cet arrêté n’avait d’autre but que de donner le change à cette puissance : en effet, l’expédition d’Égypte était secrètement décidée depuis vingt-cinq jours, lorsque ce dernier arrêté fut signé. Bonaparte avait commencé par feindre de s’occuper de la descente en Angleterre, tout en « ne s’occupant effectivement que de l’armée d’Orient », suivant ce qu’à Sainte-Hélène il dicta au général Bertrand (Campagnes d’Égypte et de Syrie, t. Ier, p. 3) ; il avait, le 20 pluviôse (8 février), quitté Paris pour visiter la côte « depuis Calais jusqu’à Ostende » (Moniteur du 6 ventôse-24 février), et, dès le surlendemain de son retour, le 5 ventôse (23 février), il signalait dans un rapport les difficultés de l’entreprise et suggérait notamment de lui substituer « une expédition dans le Levant ». Cette dernière expédition était décidée dix jours après, le 15 ventôse (5 mars). Berthier, remplacé trois jours après (18 ventôse-8 mars) par Brune à la tête de l’armée d’Italie, était rappelé en qualité de chef d’état-major de l’armée d’Angleterre, dit-on, mais en réalité de l’armée d’Orient.

Le 23 germinal (12 avril), Eschasseriaux aîné faisant, au Conseil des Cinq-Cents, un rapport sur un ouvrage relatif à la colonisation, prononçait un discours auquel il a déjà été fait allusion (chap. xvi) à propos de nos rapports avec la Turquie. Après des considérations générales sur l’opportunité de la fondation des colonies, il posait la question : « la République Française est-elle dans une situation à avoir besoin de nouvelles colonies ? » et il répondait que « le génie de la nation et la politique doivent l’appeler à de nouveaux établissements… Mais quelles seront ces nouvelles colonies ? » Il se livrait à ce sujet à une description qu’il terminait par ces mots : « c’est nommer l’Égypte ». Il faisait ensuite valoir les avantages d’une pareille colonie, prévoyait « la jonction de la Méditerranée à la mer Rouge par l’isthme de Suez », et concluait : Le gouvernement, en réfléchissant sur ce qui est utile à la nation, sentira qu’il est de l’intérêt de la République de songer de bonne heure à se fixer dans cette partie du monde. Si elle ne s’en empare, d’autres puissances saisiront le moment de s’en rendre maîtresses ».

Or, le jour même de ce discours, le 23 germinal (12 avril) seulement, alors que la chose était déjà en partie exécutée, le Directoire prenait un arrêté disant : « Il sera formé une armée qui portera le nom d’armée d’Orient » et désignant Bonaparte pour le commandement en chef.

Ce que son monstrueux cerveau de conquérant insatiable voyait surtout dans cette expédition d’Égypte, c’était, paraît-il (lettre de Joseph Bonaparte dans les Mémoires de Bourrienne, édition D. Lacroix, t. Ier, p. 411 ; Sainte-Hélène, journal inédit du général Gourgaud, t. II, p. 161 ; Bonaparte en