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nouveaux administrateurs ; ils chassent des presbytères ceux qui les ont légalement acquis » (p. 138) ; Sentinelle du 1er messidor (19 juin) : « Les prêtres se disposaient jeudi, vieux style, à faire la procession du Saint-Sacrement » (p. 177).

De leur côté, les émigrés revenaient en foule, Dufort de Cheverny l’avoue dans ses Mémoires : Dossonville « me confia qu’il rentrait, à la connaissance de la police, et surtout à la sienne, une quantité immense d’émigrés » (t. II, p. 352). Les Chouans se rendaient à Paris (Ch.-L. Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 45 et 46). Les décerveleurs du temps rentraient en activité. Au milieu des plus insolentes bravades tolérées, sinon applaudies, par des administrations complices, partout des soulèvements se préparaient ; l’assassinat des républicains recommençait ; Bailleul s’écriait à la séance des Cinq-Cents du 24 messidor (12 juillet) : « Le sang des républicains coule partout à grands flots… il coule à Lyon, il coule à Marseille, il coule dans le Midi, dans l’Ouest, dans le Calvados ». Furieuse, la majorité lui retira la parole.

Les Conseils agissaient de leur côté : une loi du 9 messidor an V (27juin 1797) déclarait non avenus les six premiers articles de la loi du 3 brumaire an IV (fin du chap. x) excluant des fonctions publiques les émigrés et leurs parents, et abrogeait les art. 2, 3, 4 et 5 de la loi du 14 frimaire an V (début du chap. xv). De la loi du 3 brumaire, il ne restait rien ; de la loi du 14 frimaire, ne subsistaient que l’extension de la loi d’amnistie du 4 brumaire an IV aux royalistes et l’exception mettant hors du bénéfice de cette amnistie les condamnés à la déportation de Germinal an III. Une loi du 10 messidor an V (28 juin 1797) leva le séquestre des biens du prince de Conti et de la duchesse d’Orléans, mère du futur Louis-Philippe Ier, grâce surtout, pour cette dernière, au consolateur de son veuvage, le député Rouzet, futur comte de Folmon (Le Temps du 1er mai 1900) ; le 26 messidor (14 juillet), nouvelle loi restituant également ses biens à une autre princesse d’Orléans, femme séparée du fils du prince de Condé, le duc de Bourbon, et mère du duc d’Enghien.

Une autre loi favorable à des émigrés fut celle du 15 thermidor (2 août) ; cette loi se rapportait à une affaire qui dura, peut-on dire, pendant tout le Directoire, celle des naufragés de Calais, sur laquelle je donnerai ici tous les détails essentiels. Le 23 brumaire an IV (14 novembre 1795), trois navires anglais sous pavillon danois étaient poussés à la côte et faisaient naufrage ; ils portaient un corps de cavaliers composé partie d’émigrés, partie d’étrangers. Parmi ceux qui purent se sauver, il y eut 53 Français émigrés, entre autres le duc de Choiseul, le chevalier Thibaut de Montmorency et le marquis de Vibraye ; on les arrêta et on les traduisit devant une commission militaire à Saint-Omer, puis à Calais, en vertu de la loi du 25 brumaire an III (15 novembre 1794) sur les émigrés (art. 7 du titre V). Ces commissions, et la dernière, le 9 messidor an IV (27 juin 1796), se déclarèrent incompétentes. Celle de Calais jugea que les prévenus, n’ayant pas été pris, mais étant naufragés,