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ses clauses ne devait être entendue dans un sens contraire aux conventions des traités publics existant déjà avec d’autres États, le Directoire vit dans ce traité une violation de celui conclu à Paris, le 6 février 1778, entre la France et les États-Unis, qui reconnaissait aux deux pays contractants, alors même que l’un d’eux serait en guerre avec un troisième, la liberté de transport des marchandises sous pavillon neutre, hors le cas de contrebande ; il voulut rétablir l’égalité de traitement, violée d’après lui au profit de l’Angleterre, et déclara, dans un arrêté du 14 messidor an IV (2 juillet 1796), publié seulement (Moniteur du 8 messidor an V-26 juin 1797) le 2 frimaire an V (22 novembre 1796), que les navires français en useraient envers les bâtiments neutres comme les puissances neutres souffraient que les Anglais en usassent à leur égard.

Le 19 frimaire an V (9 décembre 1796), arrivait à Paris le successeur de Monroe, Charles Pinckney, qui appartenait au parti fédéraliste, tandis que Monroe était du parti dit républicain, c’est-à-dire, d’après la terminologie politique des États-Unis, centraliste. Par arrêté du 25 frimaire (15 décembre), le Directoire annonça que toute relation entre les deux gouvernements serait suspendue jusqu’à ce que les États-Unis eussent réparé les torts dont la République française avait à se plaindre et que, en conséquence, Pinckney ne serait pas admis à présenter ses lettres de créance ; il avertit même ce dernier, le 14 pluviôse an V (2 février 1797), qu’il serait sage de sa part de quitter Paris, et Pinckney se retira en Hollande.

Un mois après, un long arrêté du 12 ventôse (2 mars) décidait que les bâtiments de guerre et les corsaires français pourraient arrêter les navires neutres et saisir les marchandises appartenant à l’ennemi, sans qu’il fut fait exception pour les bâtiments des États-Unis. Un nouvel arrêté du 21 germinal (10 avril) portait : « Les passeports délivrés par des ministres et envoyés diplomatiques des États-Unis d’Amérique, ou visés par eux, ne seront admis ni reconnus par aucune autorité ». Malgré l’état d’esprit que ces mesures dénotaient, le successeur de Washington à la présidence, John Adams, ne renonça pas à un arrangement ; il adjoignit à Pinckney deux plénipotentiaires, Marshall, fédéraliste, et Gerry qui flottait entre les deux partis ; ils arrivèrent à Paris au début de l’an VI (octobre 1797). Talleyrand, ministre des relations extérieures, ne les reçut pas sous divers prétextes ; mais ils eurent la visite de trois intermédiaires officieux, Hottinguer, Bellamy et Hauteval, qui leur laissèrent entendre que les conditions préalables d’un accord étaient un prêt de 60 millions au gouvernement et le versement d’une gratification d’un million à Talleyrand. Surpris d’une semblable demande, ils ne lui opposèrent cependant pas tout de suite un refus formel et, une entrevue ayant été ménagée par Hauteval entre Talleyrand et Gerry, celui-ci acquit la conviction que c’était bien au nom du ministre qu’on leur avait parlé. Ne voyant plus rien venir, au bout de trois mois (janvier 1798), ils firent rédiger par