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Vienne, et Barère par les Hautes-Pyrénées. Il fallait également, d’après la Constitution, qu’un membre du Directoire sortît ; le 30 floréal (19 mai), conformément à la loi du 25 (14 mai), le sort désigna Le Tourneur.

Au sujet de ce tirage au sort, on a prétendu — et le même bruit devait courir pour les tirages suivants — qu’il y avait eu fraude ou arrangement préalable : « Ce tirage n’est qu’une façon de parler dont le peuple même n’est guère plus la dupe », lit-on dans la Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein et du baron Brinkmann, par Léouzon Le Duc(p. 283). La chose a été démentie, du moins pour Le Tourneur, dans les Mémoires sur Carnot par son fils, (t. II, p. 97) : « Le nom de Le Tourneur sortit de l’urne. On a dit que ce fut le résultat d’un arrangement. Carnot ne s’y serait pas prêté… Le tirage fut sincère » ; vient ensuite une anecdote démontrant que Reubell avait très peur d’être désigné par le sort ; cette peur n’aurait pas eu de raison d’être s’il y avait eu arrangement. Enfin l’auteur ajoute (p. 98) : « Un arrangement avait bien été conclu depuis longtemps entre les directeurs, mais dans un autre objet : celui des cinq qui, le premier, serait éliminé par le sort, n’ayant exercé qu’un an ses fonctions, devait recevoir de chacun de ses collègues une somme de dix mille francs… Après fructidor, le nouveau Directoire chargea le trésor public de payer désormais cette dette, qu’il porta à cent mille francs ».

Le 1er prairial (20 mai), eut lieu la première séance des Conseils renouvelés. Le président fut, aux Cinq-Cents, Pichegru ; aux Anciens, Barbé-Marbois. Nous savons (chap. xii) que, pour la vérification des pouvoirs, les Cinq-Cents proposaient d’abord l’admission ou l’exclusion des divers élus dans les deux Conseils, et que les Anciens ensuite ratifiaient ou rejetaient ces résolutions. Ce fut ainsi que Barère fut, dès le premier jour, exclu comme condamné à la déportation, tandis qu’étaient abrogées les décisions votées en nivôse an IV (janvier 1796) excluant J.-J. Aymé et quelques autres (chap. xii). Le 24 mai 1797, dans une lettre à Grenville, Wickham se félicitait de « l’heureux choix que l’on vient de faire des nouveaux députés et de celui que l’on va faire d’un nouveau directeur. Ce choix, malgré tous les efforts du Directoire, portera sur M. Barthélémy et, vu les circonstances, il est impossible de trouver mieux. J’ai exhorté tous ceux avec qui je suis en correspondance à tout faire pour emporter ce point » (Lebon, L’Angleterre et l’émigration, p. 232). Le même jour où Wickham écrivait cette lettre de Suisse, la majorité royaliste des Cinq-Cents inscrivait docilement Barthélemy en tête de la liste de dix noms à présenter aux Anciens pour la nomination du nouveau directeur (5 prairial-24 mai), et le surlendemain (7 prairial-26 mai), les royalistes du Conseil des Anciens s’inclinaient patriotiquement devant la volonté de l’agent anglais et nommaient Barthélémy qui fut installé le 18 prairial (6 juin). Celui-ci, ambassadeur de la République en Suisse, n’avait jamais été qu’un de ces républicains d’apparence gardant au fond du cœur, tant qu’elles peu-