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suppléant qui n’eut pas l’occasion d’intervenir officiellement, Viellart, un des deux accusateurs publics, et Rivière, juré, que, probablement par simple erreur d’expression, il qualifie de « juge » (id., p. 309 et 312). Tels sont tous ceux que, à cette occasion, il nomme ; et il est curieux que tous ceux-là, sauf Lalande qui n’eut personne à suppléer, aient joué un rôle dans l’incident auquel donna lieu, après entente évidemment avec Viellart, la maladie feinte de Coffinhal, homme dévoué à tous les pouvoirs et qui devait plus tard se transformer en baron du Noyer de Noirmont.

N’est-il pas permis de supposer, par la connaissance que Dufort de Cheverny assure avoir eue du fait, que le juré ayant cherché à influencer Duffau fut celui qu’il nous dit avoir fréquenté à Vendôme, Rivière, qui, étant Gascon, non seulement d’origine, mais encore de caractère, exagéra ensuite les menaces par lui faites réellement à son compatriote gascon Duffau, menaces que la proximité de leurs départements réciproques était peut-être de nature à rendre sérieuses à certains égards ? Et, en admettant, dans son ensemble, l’exactitude du récit de Dufort de Cheverny, ne peut-on supposer avec vraisemblance que, pour influencer Duffau, Coffinhal ayant simulé une indisposition sur le conseil de Viellart qui l’assistait et avait été témoin, à ce titre, du vote de Duffau, qui, en outre, étant, nous le savons par Dufort de Cheverny, en bons termes avec Rivière, put mettre celui-ci au courant et provoquer la scène entre lui et Duffau, ne peut-on supposer, dis-je, que le président Gandon consentit à substituer aux côtés de Viellart, pour la fin des opérations du jury, Pajon à Coffinhal parce que, Pajon étant connu comme un ami de Rivière, sa présence paraissait de nature à intimider Duffau au courant évidemment des relations de son compatriote et collègue du jury ?

En tout cas, Duffau qui donna malheureusement dans une trop large mesure satisfaction à l’acharnement des réacteurs, n’osa pas, par scrupule partiel de conscience sans doute, aller jusqu’au bout de ce que ceux-ci tentaient d’exiger de lui. Aussi, après l’exécution de Babeuf, ajoute Dufort de Cheverny (ibid., p. 337) « c’était dans la ville une désertion complète ; les mauvais jurés étaient partis et l’on avait invectivé Duffau ».

À neuf heures et demie du matin, le 7 prairial an V (26 mai 1797), le jugement était prononcé. Conformément au verdict rendu dans les conditions que nous venons d’indiquer, étaient condamnés : à mort, Babeuf et Darthé ; à la déportation, Buonarroti, Germain, Moroy, Cazin, reconnus coupables comme eux sur la 4e et la 5e séries, Blondeau déclaré coupable sur la 4e seulement, Bouin et Mennessier sur la 5e, mais tous les sept avec circonstances atténuantes ; les deux derniers étaient condamnés par contumace.

Ce jugement était à peine prononcé que, à l’exemple des vaincus de prairial an III, Babeuf et Darthé se frappaient d’un stylet. Le ministre de la Justice, Merlin, avait envoyé à Vendôme, en qualité de « concierge de la maison de justice », un homme de confiance nommé Daude qui, pendant toute la