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viôse (20 janvier), la même commission lui écrivait qu’il venait de lui être demandé, par arrêté du 28 nivôse (17 janvier) de la commission de législation, comment il se faisait que Babeuf fût libre.

Il semble bien que l’affaire ne fut reprise alors que sous l’impulsion haineuse de quelques thermidoriens. Babeuf, on l’a vu (chap. iii), avait été arrêté et, en annonçant le fait à la Convention, le 5 brumaire an III (26 octobre 1794), Merlin (de Thionville) avait rappelé incidemment la condamnation passée — et cassée ; il n’y avait donc pas oubli, ce qui n’avait pas empêché de relâcher Babeuf au bout de peu de jours. Le 11 nivôse (31 décembre), un Conventionnel, Vaugeois, avait adressé, au sujet de Babeuf, à l’accusateur public de Laon, une lettre particulière conçue dans le même sens que la dernière lettre de la commission. Aussi, le 21 pluviôse an III (9 février 1795), les deux citoyens de Laon qui s’étaient portés cautions lors de la mise en liberté de Babeuf, étaient sommés de le « représenter » ; un mandat d’amener était bientôt lancé contre lui à l’effet de le réintégrer dans la prison de Laon : une lettre du 28 pluviôse (16 février) de la commission des administrations civiles, police et tribunaux à l’accusateur public de Laon annonçait la transmission de ce mandat au comité de sûreté générale. De plus, le 25 ventôse (15 mars), le tribunal de cassation annulait le jugement de mise en liberté du 30 messidor (18 juillet) précédent. Or Babeuf, arrêté pour ses écrits (chap. vi), le 19 pluviôse (7 février), — ce que firent valoir ses deux répondants — resta en prison soit à Paris, soit à Arras, jusqu’au 26 vendémiaire an IV (18 octobre 1795), sans qu’on ait paru un instant soucieux de le transférer à Laon où, à la connaissance cependant du comité de sûreté générale, il était réclamé. À cet égard, il n’y a, je le répète, jamais eu oubli : après la déclaration de Merlin (de Thionville), le 5 brumaire an III (26 octobre 1794), à la Convention, rappelée plus haut, nous avons vu (chap. vi) qu’à la séance du 20 pluviôse (8 février) Mathieu avait traité Babeuf de « faussaire » et que le jugement de condamnation — cassé, nous le savons — avait été placardé sur les murs de Paris, par les soins de Fréron, devait dire Babeuf dans le n° 38 du Tribun du peuple, où, parlant de cette affiche, il ajoutait : « J’ai été arrêté peu après et emprisonné huit à neuf mois comme apôtre du terrorisme. Pourquoi, pendant tout ce temps, personne au monde ne m’inquiéta-t-il plus sur l’autre affaire ? » Et cette question est décisive. Ce n’était pas par oubli je l’ai prouvé ; ce n’était évidemment pas par sympathie, la haine pour Babeuf était, au contraire, trop évidente ; alors ? Il semble que ses ennemis — et ils étaient nombreux, puissants et acharnés,— désireux ou satisfaits de le savoir enfermé, jouaient, pour obtenir ce résultat, de l’affaire de faux lorsqu’il était libre et, lorsqu’il était prisonnier pour un motif quelconque, évitaient d’aboutir à une solution définitive sur une accusation qui ne devait pas leur paraître bien fondée.

À peine avait-il repris la plume et exprimé les idées dont nous parlerons